jeudi 30 mars 2017

Six heures de surveillance à temps double;
(quelle drôle d'expression "temps double"...)
fin du rush de lecture avant le rush de correction 
En une semaine, - namedropping éhonté - Normand Lalonde, 
Anne Hébert, Serge Bouchard, Milan Kundera, 
Christian Bobin et Jack Kerouac pour finir le tout - Uncollected poems.

(- Qu'est-ce que tu lis ces temps-ci?
 - Je n'ai pas le temps de lire...
 - Je te plains, je vais lire pour toi dans ce cas.
 - C'est ce que tu fais depuis des années.
Je ne sais pas si c'est un compliment, mais ça m'a touché.)

Devant moi 28 étudiants qui ne sont pas les miens;
vite comme ça, au moins quinze nationalités différentes :
a great deal of the world in a classroom.
Je peux presque les entendre souffrir, 
penchés sur La Ferme des animaux
à triturer écrire raturer effacer gratter la feuille et réécrire;
avant de réfléchir et il faut apprendre à réfléchir.
Si ce n'était des petits bruits insignifiants 
- touches de mon clavier,
crissements des feuilles manipulées, 
le toc des effaces échappées sur les pupitres,
effritements du plomb des crayons, 
vifs déplacements des chaises sous l'inconfort de la tâche 
et le drone incessant de la fan dans la classe - 
on pourrait presque croire au silence.
29 personnes ensemble qui ne disent mot, ça reste rare.

Plus tard ce soir, de trois départs un retour;
l'ami s'en revient, auréolé d'Asie du Sud-Est, 
et on refera le monde avec Bacchus, encore une fois.
Pour un instant, il tuera la solitude.
Where I can find my soul?
In solitude said my friend, in solitude.
Yes. I have found my soul in solitude.
(J'ignore si j'ai trouvé mon âme, mais avec la solitude, 
j'ai trouvé - un peu, c'est un work in progress - qui je suis.
Est-ce que c'est ça, Ti-Jean, l'âme?)
Peut-être qu'on concrétisera le projet d'aller, cet été,
à Lowell et à Camden pour rendre hommage aux deux monstres
et écouter leur silence, eux qui ont chanté toute leur vie.

Et si écrire était une sorte de silence?
Nos pensées ne font du bruit que pour nous. 
C'est Normand Lalonde qui disait :
RECETTE POUR RÉUSSIR UN POÈME. Choisir un bloc de silence bien lisse. En retirer tout l'inutile. Admirer le résultat.
Peut-on le contredire? Je ne crois pas.

Et si lire était une sorte de silence?
Les mots des autres ne font du bruit que si nous les laissons faire.
Je n'entends rien quand je lis,
je n'entends que moi, en train de lire, en silence;
et le bruit des pages tournées n'est qu'un faible halo éphémère,
une goutte de temps qui s'évanouit aussitôt.

Le silence est la disparition qui précède l'apparition de son contraire.
(Je me souviens du silence qui suivit la disparition des pas, 
le claquement de la porte refermée derrière la fugitive, 
et pour ne pas souffrir ce silence, 
on le remplit avec ce qui traîne autour;
la musique, le coeur accroché au mur, 
l'inévitable évanescence des parfums, 
les ombres délétères des souvenirs, 
nos empreintes dans le sablier fracassé au sol
le sang sur les éclats de verre du temps)
Si envahissant pourtant si facile à briser,
il est l'arme suprême des fantômes.

I don't need new ghosts
my mind is already haunted
in the starless night

Et le silence est encore plus impitoyable,
lorsque nous en sommes l'esclave,
dans l'attente qu'il soit brisé par l'Autre.
On lui donne mille formes et raisons; 
il est la somme de toutes les illusions.
Ou si c'était beaucoup plus simple;
si le silence n'était en fait, pour paraphraser Bobin,
que le cri ultime des amoureuses?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire