mardi 7 février 2017

De la musique - extrait

Sur le chemin du retour, le transport des communs rassemble tout ce qu'il y a de plus ordinaire sur le Plateau Mont-Royal. Panoplie d'obèses chroniques, d'invalides incompétents, de coupes longueuil, d'étudiants pas révoltés pour deux cennes, une femme avec une pleine caisse de bananes (non mais qu'est-ce qu'elle va foutre avec soixante-dix bananes, prêtre!?) prend toute la place et ne s'excuse pas le moins du monde, des hipsters ennuyants comme le froid, des itinérants qui sentent la pisse et la misère et dont la puanteur pétrifie mon empathie ; lueur d'espoir : une sculpturale blonde aux yeux bleus vient s'asseoir à côté de moi, on échange un regard, dommage qu'elle ait une moustache. Crisse que le monde sont laitte! comme j'ai déjà dit plein de fois. La scène jure terriblement avec le Quintette à cordes n°3 en mi bémol majeur d'Antonin Dvorak qui joue en boucle dans mes oreilles depuis plus de vingt-quatre heures, le Larghetto surtout, c'est à vouloir s'arracher le coeur pour le donner à l'être aimé, avec tout ce qui vient avec. Récemment, on m'a demandé comment se faisait-il qu'un vieux punk comme moi pouvait triper autant sur la musique classique. "Parce que c'est peut-être la seule musique qui peut provoquer en moi autant des larmes de tristesse que des larmes de joie, le Larghetto de Dvorak (maudits accents pas trouvables) en est un excellent exemple. La musique classique c'est de la beauté à l'état pur, une conjonction de tout ce qui fait le sublime, la passion et l'immortel, c'est en-dehors du temps, connecté direct à l'essence de l'humanité. En plus, si tu veux résumer la musique classique, tu y vas comme ça : Bach a pris la musique et en a fait un carré, Mozart a pris le carré et en a fait un cercle, et Beethoven, ben il a fait péter le cercle." Elle acquiesça dans un sourire complice. Et l'on parla encore de musique comme on le faisait sans cesse depuis plusieurs semaines. On partage la même passion pour Schubert qui, malgré son extraordinaire notoriété, demeure probablement un des compositeurs les plus sous-estimés, le plus souvent pris dans l'ombre de Beethoven. Avoir fait tout ce qu'il a fait avant de s'éteindre à 31 ans relève du putain de miracle! Le Larghetto de Dvorak se développe comme une rêverie qui alterne entre la joie et le profondément tragique, où les regains de vie sont interrompus par des accents d'une puissante mélancolie, pour ensuite reprendre dans les soubresauts que déclenchent l'espoir et la passion revigorés. Écouter cette musique alors que commence à naître la tempête enveloppe l'atmosphère du jour. Le vent semble feutré du lyrisme des cordes, les brèves accélérations du tempo dans la seconde moitié du mouvement suppose une urgence indicible qui nous force à nous arrêter pour mieux sentir et ressentir.  Shut your eyes and see. Mettre des mots sur ce qui ne peut pas en avoir, une autre raison pourquoi la musique classique me fascine et me transcende. On dirait que l'Art permet au jour de suffire. 


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