vendredi 28 octobre 2016

Un vieux fond de poème retrouvé dans un vieux fond de notes, un vieux fond de mémoire : précision et clarté du métal quelconque / un spectre d'or et de bronze / dans la chicane des heures / les années qui passent me repoussent / il y a dans l'ombre / ce que je ne connais pas de moi. 

Il recule un peu sur sa chaise, tend son dos vers l'arrière et les bras en avant comme pour scruter son calepin avec un peu plus de distance. L'encre agglutinée en minuscules essaims noirs montre qu'il avait écrit ces lignes très rapidement, probablement pour ne pas les oublier, mais réflexion faite il se dit qu'il aurait bien pu les oublier, que ça n'avait pas d'importance, que ça ne changeait pas grand chose de toute façon.

La matinée avance trop lentement et les murs beiges formatés et le bruit du ventilateur de la classe sont à vouloir se pendre. Il devrait surveiller ses étudiants avec plus d'assiduité, peut-être qu'il y en a quelques-uns qui pourraient être tentés de tricher paranoïa ridicule on en est rendus là, mais le matin est embaumé par l'ennui, même pas un ennui mortel, ce qui serait quand même quelque chose, mais non, juste un ennui bien plate ; le point central du spectre de l'ennui, celui qu'on ne peut qualifier car ça serait lui donner un aspect, une couleur, mais non, ce présent ennui est sans qualité. 

Il porte son regard sur les autres autour de lui. Tous sont penchés sur leur examen avec plus ou moins de zèle. Il s'attarde sur de petits détails ici et là, les petites manies de chacun. Toutes les filles tôt ou tard en viennent à se tricoter d'une main une mèche de cheveux de façon singulière pendant qu'elles écrivent, c'est immanquable. Les garçons jouent sans cesse à faire tourner leur crayon avec leurs doigts, dextérité qui n'est pas donnée à tous. Toutes les têtes sont penchées dans des angles quelconques, il n'y a aucune symétrie qui vaille. Il faut transmettre aux étudiants un savoir, une culture, des connaissances et non leur enseigner des compétences obsolètes qui seront demain désuètes. Il se rappelle avoir lu ça cette semaine. Pourquoi vouloir seulement l'un ou l'autre? Pourquoi ne pas faire les deux? Le savoir libère de l'esclavage de l'ignorance, c'est tout ce qui importe. Trop de pensées se bousculent dans sa tête en même temps, impossibilité d'ordonner le chaos, ça part dans tous les sens. Il vient de se rendre compte qu'il a paqueté Joyce trop vite, quand il veut ordonner le chaos, c'est toujours Joyce qui lui vient en tête en premier. 

Un étudiant glandeur comme c'est pas possible vient lui poser une autre question niaise. Il pue un parfum cheap digne du marché aux puces de Saint-Eustache (ça sort d'où ça?) Le micro douche swag tout petit petit pas tough guy pantoute partira tantôt en claquant la porte, pressentant l'échec, dans sa médiocre superbe. À droite, les cils faux ou pas, l'on ne sait pas, de Sara, tellement longs ses cils qu'on pourrait y accrocher le jour et la nuit en même temps, battent comme papillons sombres d'un désert maghrébin "...so we'll live, and pray, and sing, and tell old tales, and laugh at gilded butterflies..." Ô madman's wisdom. Les regards errent encore au gré des pensées. Vince aux mille questions dans le fond de la classe ne fait qu'ajouter à la confusion. 

"Il vous reste 67 minutes." 83 de passées. Ils ont tous leur dictionnaire ouvert et pourtant ils feront une trâlée de fautes quand même. Allez comprendre. Un oiseau passe en coup de vent dehors, il le voit à travers les grandes fenêtres une bénédiction de la classe décrépite. Il y a des taches brunâtres sur le plafond suspendu qu'est-ce que ça peut bien être c'est comme si le plafond avait lui aussi ses cernes des sueurs. À défaut de Joyce à consommer précipitamment, il y a quand même Hamlet qui traîne sur le bureau. Si seulement un autre oiseau pouvait passer... Les fenêtres ouvrent sur le parc Angrignon, l'un des plus beaux de Montréal, surtout à l'automne. D'énormes mais bien énoooormes érables et chênes aux centaines de teintes du vert au jaune orange au rouge rouille et oxydation de la flore tranchent net avec le gris amorphe du ciel. Horizon découpé. Les arbres ne dansent pas aujourd'hui parce que le vent boite, il est bien trop épuisé d'hier où il a soufflé ses cornes toute la journée, c'est qu'il a venté en diable le vent! 

Il lui tarde d'aller marcher dans le parc pour entendre le son de ses bottes crisser délicatement sur les feuilles mortes mais souples par l'humidité. Sûrement qu'elles vivent un peu d'ailleurs. Lente agonie de la feuille. Leave, mot à deux tranchants. Leaves of grass, si Joyce est paqueté, il sera remplacé par le grand Walt estie! Chantre de la vie et de ses sens, de la vie et du sens! You bet you celebrate yourself you too-big-to-measure piece of man! Übermensch of multitudes! Quoth Hamlet : "What piece of work is a man! How noble in reason, how infinite in faculties, in form and moving how express and admirable, in action how like an angel, in apprehension how like a god : the beauty of the world, the parangon of animals!" Mais c'est après que ça se gâte : "And yet to me what is this quintessence of dust?" Cette quintessence de poussière!... Ô sweet prince. Beau prince si sombre, si mélancolique et si lucide dans ta folie, homme de toutes les époques qui t'ont suivi, ultime anachronique, tu as inventé l'humain des quatre derniers siècles. Pour le meilleur et pour le meilleur. 

Bruits de pas sur le tapis de feuilles. Bruits des pensées qui se fragmentent, se fusionnent, se divisent, disparaissent et renaissent. Bruits du barbaric yawp over the roofs of the world (quel glorieux vers!) de Walt. Bruits du spleen du beau prince sombre. Le chaos ne s'organise pas pour autant, des flèches sont lancées à travers les chairs lacérées des derniers jours, une légion de serpents creuse et fouille les blessures, chaque regret est autant d'aiguilles enfoncées dans les coeurs nus, les visages gravés de larmes baissent les yeux et attendent encore ce qui ne vient pas, les griffes arrachent les mâchoires des échanges avortés, le cerveau se repli sur lui-même en hurlant pour que l'horloge s'arrête... a quintessence of dust!!! 

mais l'espoir est pas tuable
même dans la douleur et la tristesse 
peut peut-être naître 
                           un peu de beauté


lundi 24 octobre 2016

De la beauté de la simplicité


"... ma solitude se moule au silence..."
                                                                       - Serge Bouchard

vendredi 21 octobre 2016

oh you old poor poor Jameson
please pour pour again and again
                    that old poor Jameson
                    so I can quench my thirst
                    my fool's sorrows
                    in Erin's gold

dram oublié aux couleurs de cuir
cuivre félin du signifiant féminin
                    mélodie soufrée
                    du crépuscule qui titube
                    dans ses textures diverses
           protège le feutre de l'air
           et l'érosion des erreurs
           à ne pas refaire

trouver ses aises dans le chaos
cohésion entrecoupée
           soubresauts fluides
           des phrases bien jouées
           sur l'ébène des corps
sculpturale amante
aux courbes métaphysiques
où naissent nos légendes

pour pour again some son of James
qu'on oublie nos drames
                        nos ratures
que revivent nos amours éthyliques
           créatures pures et neuves
           d'un nouveau bestiaire à créer
                                                    ensemble

jeudi 20 octobre 2016

je marche tout le long d'une journée longue d'un automne fiévreux dans les rues désertées de la ville. avec l'étrange sentiment de ramasser sous mes semelles les peaux mortes des passants m'ayant précédé. un jour sans lumière. sans chants d'oiseaux. que le requiem inaudible et déferlant des feuilles qui tombent des arbres. un ciel gris et laiteux qui semble plus âgé qu'il ne peut l'être. je ne vois personne. je ne fais que regarder. mes regards aussi se perdent et tombent comme les feuilles d'automne.

je rentre dans mon appartement vide. une lumière à gros grains éclaire-obscur mon salon. une lumière artificielle. j'allume quelques chandelles pour contrefaire l'artifice. mon chat somnole sur le divan. thé chai bouillant. pile de livres carnets et crayon. et je m'enfonce dans mes lectures. aucune stupeur et aucun tremblement. que les frictions indicibles de mon corps lové dans l'atmosphère engourdie. douce solitude crépusculaire. 

soudain j'entends la voisine à travers nos murs de carton-pâte s'énerver paniquer puis éclater en sanglots. son copain n'est pas là. elle doit être en train de parler au téléphone. elle pleure assez fort pour que je l'entende à travers ma lecture. je ne comprends pas ses mots mais devine qu'ils sont graves. ça dure quelques minutes. puis j'entends sa porte d'entrée se fermer dans un fracas. départ en trombe. silence du lieu endeuillé.

je suis incapable de retourner lire. je m'imagine mille scénarios. la voisine toujours souriante vient de perdre de son innocence et de sa candeur. mes pensées sont toutes ailleurs désormais. je ne saurai pas ce qui lui arrive. puis sans raison une image me vient en tête. pendant plus d'une heure elle m'obsédera sans que je puisse m'expliquer pourquoi. irruption totalement involontaire et incontrôlable. et je me demande combien dans cette ville et dans ce monde de personnes seules prient en silence dans le désoeuvrement le plus complet. dans l'indifférence. dans l'attente désespérée d'une réponse. d'une réponse qui ne vient pas. et qui ne viendra jamais.


lundi 17 octobre 2016

autoportrait du doute?

Et si j'étais le seul à voir ce que je vois comme je le vois? Bien sûr que personne ne voit de la même façon, mais ça ne me suffit pas. Pourquoi je m'imagine le vent comme l'écho de chants anciens, proscrits, prières hérétiques, poussé par une force encore plus ancienne? Les couleurs et les formes que le temps et l'espace trace sont autant d'énigmes à déchiffrer. Divers reliefs et détails que je crois comprendre, pensant très naïvement être le seul à les comprendre. Parce que je persiste à voir dans l'immuable un perpétuel mouvement - l'immobilité n'existe pas, même dans les ténèbres les plus stoïques, la mue de monstres impossibles s'opère, et même les photographies, les statues et les temples nous hurlent toute la poésie du silence. Une grande faux métaphorique frôle puis s'enfonce dans la plaie, ces ruptures du chaos que je cautérise avec le feu de l'encre. Je fouille en moi et ne trouve que ce qui me dépasse, écartelé, contredit, entre deux absolus. Je tangue sur le fil au-dessus d'un précipice impitoyable qui me toise de loin. Paradoxal, j'observe à la croisée des dimensions abstraite et concrète un chemin qui me refuse et se voile. Mais je ne reste pas immobile, ma pensée court sur ces détours et je ressens une liberté hybride en mutation se réveiller, cette idée qui m'obsède, ce sentiment qu'elle ne mourra qu'avec moi pour, peut-être, mieux naître ensuite.

mercredi 12 octobre 2016

- réunion de merde Don Racine a saboté
fracassé ferme la boîte de Pandore
et les délirantes inepties des collègues insécures
font ressortir ennui colère et découragement
ne laissant que la possibilité de la fuite
devant cet éhonté gaspillage du jour -

(réminiscences du week-end passé
mais les fantômes s'immiscent dans le verbe
leurs mouvements jettent éclats aveuglants sur la page

(en arrivant à Chicoutimi tradition et soif obligent
l'odeur unique mais commune de notre dép de prédilection
où l'on a fait tous nos premiers méfaits d'arme
nous lance une madeleine de Proust un peu cheap
en plein dans notre nez notre face nos souvenirs
prescience du grand Marcel qui a vu
dans le retour sur nos pas la somme
de l'équation du temps et de l'âme

dans le même esprit ces retrouvailles
après vingt ans passés trop vite
soirée à dériver vague dans l'orbite de nos mémoires incertaines
délires ivres échangés dans la plus belle humeur
comme si toutes ces années n'avaient jamais existé
mais ça reste quand même
un sacré coup de poing dans le visage du temps
pansé toutefois par les sourires de beaux humains
les excès ont fait fi de la nuit ont repoussé le sommeil
sculpté de nouveaux souvenirs et donné
beaucoup de sens et de beauté à tout ça))

jeudi 6 octobre 2016

"Fainter and fainter grows the light. It is as if another double-handful of darkness had been scattered through the air. Now it is no longer grey, but sable. There is still a faint appearance at the window; neither a glow, nor a gleam, nor a glimmer,---any phrase of light would express something far brighter than this doubtful perception, or sense, rather, that there is a window there. Has it vanished yet? No!---yes!---not quite! And there is still the swarthy whiteness,---we shall venture to marry these ill-agreeing words,---the swarthy whiteness of Judge Pyncheon's face. The features are all gone: there is only the paleness of them left. And how looks it now? There is no window! There is no face! An infinite, inscrutable blackness has annihilated sight! Where is our universe? All crumbled away from us; and we, adrift in chaos, may hearken to the gusts of homeless wind, that go sighing and murmuring about in quest of what was once a world."
- Nathaniel Hawthorne, The House of the seven gables