mardi 20 septembre 2016

extrait incomplet

Tiraillé, écartelé même par des émotions se faisant cheval de trait et cheval de Troie, se faisant jument de la nuit en plein jour, je m'avançai dans la ville à la recherche de nouveaux repères. Direction marché Bonsecours (le nom est crissement d'adon) pour voir le World Press, question de marcher un peu dans l'histoire passée et présente. Rendu sur place, y'a une trâlée d'étudiants, du secondaire probablement parce qu'ils ont tous un uniforme ; ils parlent fort leur franglais prévisible, s'ils n'avaient pas de devoirs reliés à cette expo, je me demande quel serait leur niveau d'attention et de concentration... la grande majorité semble s'en foutre royalement, la grande majorité prend des photos des photos exposées - soupirs - je ne comprends pas. Mais est-ce qu'il y a vraiment quelque chose à comprendre de cette stupide mise en abîme? (Oui mais c'est une mise en abime! - une des meilleurs répliques de tous les temps) Reregarderont-ils à nouveau, encore et encore, toutes ces photos de ces tragédies humaines exposées devant leur confort et leur minime empathie qui s'estompera dès leur prochain statut Facebook? Soupirs répétés. Je fais le tour de l'exposition. On dirait que le vieux continent est en train d'échouer. Guerres en Syrie, au Liban, en Égypte, autant dire dans tout le croissant fertile (quelle appellation étrange et profondément paradoxale). Dizaine de milliers de morts, centaine de milliers de blessés, plus d'un million de réfugiés. Pendant combien d'années à venir les côtes et les berges de la Méditerranée accueilleront et ramasseront les dépouilles noyées, gonflées et délavées par l'eau salée - cette mer est le phylactère d'un terrible roman sans images en train de s'écrire, et la fin s'annonce horrible -, grugées par les poissons, les poumons remplis d'algues ? (Il paraît que la mort par noyade est l'une des plus douloureuses, elle ne dure qu'un bref instant - cet instant de la gorgée fatale qui remplit les poumons d'eau - mais c'est une douleur extrême qui survient lorsque les bronchioles et les alvéoles pulmonaires sont en contact avec l'eau - j'ose à peine imaginer la noyade dans des sables mouvants) Ou bien est-ce l'Europe qui échoue dans la gestion de cette crise, dans cet accueil des réfugiés, dans cette incapacité à venir à bout de ces djihads? (Et ils osent appeler ça une guerre sainte!... Aucune guerre ne sera jamais sainte, ultime paradoxe qui pourtant est le moteur de notre nouveau et triste millénaire.) Où en est le Moyen-Orient, prisonnier des étaux de la régression, de la radicalisation, des croyances archaïques et de la religion faite idéologie? Pause, grandes respirations, une image apparaît. Une de mes anciennes étudiantes qui était toujours voilée vient de laisser tomber son hijab dernièrement ; la seule chose que je dirai est qu'elle a les plus beaux cheveux que je n'ai jamais vus et qu'aucun dieu, faux ou vrai, ne mérite qu'on masque pareille parure, c'est refusé la beauté à la nature sage, à l'histoire et à l'humain que de porter de tels masques. À l'exposition, il y a une section catastrophes humaines, une section catastrophes naturelles, une section drames humains isolés et une section nature. (Tour à tour tremblements de terre au Népal je n'énumérerai pas les victimes ; usines au charbon en Chine le tiers de la pollution mondiale pour le septième de la population mondiale ; encore des irradiés de Tchernobyl ils sont là à chaque année, supposés nous rappeler un souvenir unanimement oublié ; viols à répétition de soldates de l'armée américaine horrible constat d'une phallocratie inébranlable (ou ne serait-ce pas plutôt une phallocratie inbranlable? ne serait-ce pas là l'explication à tous ces problèmes?) le malheur et la misère ne sont pas l'apanage du vieux continent ; esclavagisme, torture et trafic d'enfants au Sénégal ; une baleine à bosse et son baleineau superbe mot puis une série de portraits qui dissimulent autant que possible la douleur des sujets, même si elle demeure là, plus implicite il est parfois nécessaire de la montrer dans sa plus horrible violence même s'il s'agit de cadavres d'enfants tirés des décombres de guerres adultes ce paradoxe de faire ressortir la beauté des pires horreurs cette phrase est un calvaire, le chaos même sans le vouloir) En sortant de l'exposition, soudainement, mes membres sont plus détendus - relativiser la souffrance j'imagine - le vent et l'air sont meilleurs, le Vieux-Montréal est superbe, malgré la colonie de cônes qui s'implante, je marche dans les pas de vieux fantômes - j'entends À la claire fontaine dans ma tête. Envie de bouger de marcher encore et encore pour se rendre à L'Escalier. M'en va rejoindre mon frère d'une aut' mère. Les tracas sont partis vitevitevite, puis sont revenus aussi vite pendant que j'arpente le pavé centenaire de la rue Saint-Paul bizarre action que celle de se faire le témoin de la souffrance des autres pour estomper la sienne. On arrive à L'Escalier - "J'aime ça ici, c'est vraiment un repère d'éclectiques complètement fuckés ; tu devrais voir la fille qui vient de passer, une vraie slut à Jacques!" qu'on entend. Des étudiants en lettre à côté parlent de Shakespeare, le geste et la parole se retiennent d'intervenir, je veux voir du monde, pas leur parler. On avoue qu'elle ne laisse pas grand place à l'imagination, elle a plus de peau que de peaux, une camisole de GG Allin, qui n'en est plus une tellement elle est rendue déchirée par les coups de fouets de révoltes avortées. Et les histoires disparaissent comme les humains passent. Mardi anarchie à L'Escalier, le chanteur a une guitare à 1000 piastres et une voix à 25 cennes, les regards mescalinés envahissent la place faut partir et vite la rébellion est-elle vraiment rendue une affaire de coiffure et de linge tout croche ? Désarroi et faible plainte, petites révoltes inutiles et égoïstes mon texte ne veut rien savoir de se justifier, quelle, encore une fois, superbe parce que ridicule mise en abîme!



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