lundi 12 septembre 2016

alignement des planètes

En 1849, Henry David Thoreau publie Civil desobedience pour protester contre l'esclavagisme. Tolstoi, Gandhi et Martin Luther King en feront non seulement une lecture de chevet, mais une philosophie de vie.

En 1850, Nathaniel Hawthorne publie A Scarlet letter, superbe roman dénonçant le passé puritain de la Nouvelle-Angleterre, leur dogme rétrograde et les persécutions morales qui en ont découlé.

En 1851, Hawthorne récidive avec The House of the seven gables, véritable roman gothique qui s'attarde encore une fois au sombre passé de la Nouvelle-Angleterre - entre autres, à la chasse aux sorcières de Salem - et du poids d'un passé trop lourd de péchés non-expiés. (M'est avis que ce roman est une allégorie symptomatique de l'esclavagisme qui sévit dans les États du Sud à cette époque)

Toujours en 1851, Herman Melville publie Moby Dick, qu'il dédie d'ailleurs à Hawthorne, le plus grand roman de la quête, une énorme allégorie symbolisant rien de moins que la condition humaine, écrit dans un style sans pareil encore aujourd'hui, le premier roman du monde occidental (je dirais même du monde tout court) qui se veut total et totalisant. Une lecture essentielle et nécessaire, pour ne pas dire obligatoire. 

En 1852, Harriet Beecher Stowe publie Uncle Tom's cabin, premier roman dénonçant de front l'esclavagisme sans avoir recours à l'allégorie ou au symbolisme. Au 19ème siècle, précurseur à sa façon de la Guerre de Sécession, il sera le deuxième livre le plus vendus aux États-Unis après la Bible. En 1862, quand Lincoln rencontra Stowe pour la première fois, il lui dit : "So you're the little woman who wrote the book that made this great war!"

Je triche un peu en sautant trois ans, mais j'ajouterai qu'en 1855, Walt Whitman va publier Leaves of grass, peut-être le plus grand recueil de poésie américain jamais écrit (et j'inclus ici toutes les Amériques et tous les pays qui les composent), qui eût le même effet pour l'Amérique et la modernité littéraire qu'Homère en eût pour la littérature occidentale, ou que Shakespeare pour la littérature classique, romantique et, disons-le, universelle. Lire Leaves of grass en 2016 fait réaliser que la poésie de Whitman n'a pas d'âge : elle a tous les âges, elle est en-dehors du temps, plus haut et plus loin, peu d'esprits humains ont volé à pareille altitude. 

De semblables conjonctions de forces littéraires se reproduiront ici et là, mais jamais condensées dans un si court laps de temps et jamais avec autant d'impact au niveau sociologique, politique et artistique. On peut penser aux années 1915-25 en Europe avec Franz Kafka, Marcel Proust, James Joyce et Virginia Woolf, qui réinventèrent le roman comme aucun écrivain, mais leurs oeuvres semblent parfois être une suite d'action/réaction et les intervalles entre les parutions sont bien présents. Les planètes étaient alignées, mais sur de plus longues révolutions. 

Évidemment, tout cela n'a absolument rien d'exhaustif. Et je ne parle que de littérature, à un moment bien précis. J'aurais pu parler du 19ème siècle allemand au grand complet, où la musique classique dans toutes ses déclinaisons et la philosophie ont créé un zeitgeist d'aucune commune mesure dans l'histoire de l'humanité. Ou de la Renaissance, mais on parle ici de courants s'étant échelonnés sur des décennies, voire un peu plus d'un siècle. N'empêche que j'ai été soufflé par ce "timing", comme si c'était le moment précis de la naissance de la littérature américaine. Naissance à laquelle j'assiste depuis quelques milliers de pages, qui me fascine et me donne l'impression de lire dans les racines d'un arbre qui semble vieillir trop vite récemment, mais qui, j'ose espérer, porte encore en lui les promesses de belles floraisons. 

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