mardi 14 juin 2016

La confondante réalité des choses
Est ma découverte de tous les jours.
Chaque chose est ce qu'elle est
Et il est difficile d'expliquer à quiconque à quel point cela me réjouit,
Et à quel point cela me suffit.

Il suffit d'exister pour être complet.

J'ai écrit pas mal de poèmes.
J'en écrirai plus encore, naturellement.
Chacun de mes poèmes dit ça,
Et tous mes poèmes sont différents.
Puisque chaque chose qui existe est une manière de dire ça.

Quelquefois je me mets à regarder une pierre.
Je ne me mets pas à penser si elle sent.
Je ne me fourvoie pas en l'appelant ma soeur.
Mais je l'aime parce qu'elle est une pierre,
Je l'aime parce qu'elle ne ressent rien,
Je l'aime parce qu'elle n'a aucune parenté avec moi.

D'autres fois j'entends passer le vent,
Et je trouve que rien que pour entendre passer le vent, ça vaut la peine     d'être né.

Je ne sais pas ce que les autres penseront en lisant ceci ;
Mais je trouve que ce doit être bien puisque je le pense sans effort,
Sans la moindre idée de témoins attentifs à m'écouter penser ;
Puisque je le pense sans penser,
Puisque je le dis comme le disent mes mots.

Une fois on m'appelé poète matérialiste,
Et j'en ai été fort surpris, car j'étais à cent lieux de penser
Qu'on pût m'affubler du moindre nom.
Moi je ne suis même pas poète : je vois.
Si ce que j'écris à quelque valeur, ce n'est pas moi qui l'ai : 
La valeur se trouve ici, dans mes vers.
Tout ça est absolument indépendant de ma volonté.

- Alberto Caeiro (Fernando Pessoa), Poèmes désassemblés



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