jeudi 3 mars 2016

esquisse - deuxième partie

De retour à L'Escalier. Notre rendez-vous du mardi est en train de devenir une tradition et c'est parfait comme ça. On s'était dit qu'on essaierait peut-être une autre place un moment donné, mais la faune est hétéroclite ici et se rejoignent assez d'espèces pour esquisser tout son soûl.

(J'omets deux pages de descriptions vraiment plates. 
                                     Mon carnet est une forêt de ratures)

C'est la tête lourde de six heures de correction que je m'efforce de poétiser l'instant. Banalités du quotidien, mais je l'assume, le tibia du songe pris jusqu'à l'os dans le piège. Images lentes, je suis en face d'un mur, la faune derrière moi, je ne me retourne pas. (saurai-je les attraper? me montrer suffisamment alerte?) --- une tempête déferlera cette nuit sur cette imitation d'hiver ; il semblerait que la météo ne se trompera pas cette fois ; je profite du temps en dehors de chez moi ; demain je serai cloîtré ; correction oblige ; encore --- friches d'une forêt de ratures.

Devant moi, la tapisserie est mosaïque d'iconographies moyenâgeuses où la mort est présente dans chaque image. Le trait est gros et grotesque, semble buriné à même le mur, la mort n'en est pas moins effrayante. Sur l'une d'elles, un homme à tête de bouc - le Will Shakespeare de VLB aux formidables cornes ! - étrangle une bourgeoise devant deux hommes indifférents et une mort ricaneuse. Carnaval macabre. On lit ici et là un peu d'allemand (la calligraphie gothique m'empêche de bien distinguer les lettres), on dirait les illustrations de l'Apocalypse d'une bible protestante.

(Anticiper la tempête. Ariel esprit des airs et de vie oeuvrant pour le grand Artificier - silence, exile, and cunning - Je nous donne dix minutes d'écriture furieuse ! Si je pouvais vomir toutes les formes que j'ai dans la tête, ordonner la tempête qui s'annonce dans le doux prélude jazz guitare-trombonne du duo qui vient de prendre le stage (fluides et maîtrisées improvisations, leur conscience communique en silence), créer l'instant avant que tout ne se perdre en futilité dans la paille éphémère des secondes, une tempête approche, elle est mieux d'en valoir la peine, Caliban esprit infâme des morts, nature sauvage soumise au grand mage, apprivoiser l'indomptable chez qui le spleen le plus lyrique passe - Ô nature et instinct ! Violence archaïque des pulsions bien primaires, de la pulsation des spasmes créateurs créature modelée par la nuit d'onyx tombant sur l'île dans le contrejour atroce de l'éclairage non tamisé du bar --- je ne regarde personne, pas de hipsteuse au charme retenu, ni de lys roux, qu'une ampoule trop forte qui pèse sur mes paupières lourdes de lumière, que des notes envoyées par le vent et les cordes - dialogue totalement cohérent - que ma tête qui me serre dans la précipitation des mots, dans une tempête d'idées sans commune mesure avec notre nature dénuée d'esprits - Ariel et Caliban, oxymore aux milliers de visages, mimiques polymorphes de l'imaginaire foisonnant du barde, harpie et bossu terrifiant de la psyché, la tempête c'est eux. 

Et quand tombera ce demi-mètre de neige ce soir, je ne pourrai dormir, car je rêverai trop à ce brave nouveau monde qui pourrait renaître du courroux vindicatif du blizzard avenir, je m'obstinerai à croire que la magie existe ailleurs que dans le cerveau de ceux qui y croient.)

Je ne détourne pas la tête.
Sur la table devant nous : Proust, Céline et Cervantes (namedroping assumé) dont je n'ai pas le temps de parler.
Winterreise - le voyage d'hiver - de Schubert qui m'attend, avec du Talisker 10 ans.
Mille images comateuses qui ne renaîtront pas tout de suite.

***

(Lendemain.
Lent demain.
Ce fut une tempête minable...)

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