samedi 31 décembre 2016

        j'attends
        sans honte
               mais dans la crainte
   dans le silence des météores
         la prochaine fièvre à venir
   sans savoir
              si elle sera
                       enivrante  
              ou            terrassante

lundi 26 décembre 2016

euh wow...


"Son parfum m'enveloppait, nuée d'anges capiteux qui dégommaient molécule par molécule les émanations soufrées de mes diables grimaçants."
Stéphane Larue, Le Plongeur

samedi 24 décembre 2016

Y'a tellement eu de poésie dans les dernières soixante-douze heures pis je parle pas de Noël pantoute que j'suis incapable de tout structurer comme du monde pas d'ponctuation pour ce texte comme une longue partition inaudible et chaotique bruit et fureur toujours et encore parce qu'on peut pas tuer les créatures qui grondent sous la peau je laisse les pauses les arrêts les temps morts à ceux qui prendront le temps de s'arrêter ce qui ne peut être mon cas parce que le creuset du souvenir a fissuré éclaté explosé en mille morceaux de peau corps frissonnant dans les nuits bleues qui n'appartiennent qu'à nous en mille fragments et notes de la plus belle voix du monde my fate cries out and make each petty artery in this body as hardy as Nemean lion's nerve Hamlet câlisse j'aimerais tellement ça des fois que t'aies pas tout le temps réponse à tout estie écrire décrire étudier disserter la marche du train ininterrompable écrire marcher sur le fil d'une lame impitoyable qui pourrait me trancher pieds jambes tronc et tête en attendant j'écartèle les fils emmêlés de mon coeur et de mon cerveau crâne globe détraqué le destin peut cogner à la porte Symphonie no.5 de Beethov comme il peut se matérialiser dans la sonnerie d'un téléphone que je pensais impossible fulgurante impulsion imbibée de la rosée du passé pas si loin quand même fulgurante impulsion que je dois à mon ami mon frère fulgurante impulsion dans le silence total et complet de mon ivresse et au hasard d'un troisième de couverture d'un vieux livre dont je n'ai jamais pu me départir prendre un risque Un coup de dés jamais n'abolira le hasard comme disait Trèsbienarmé la fontaine d'encre semble sur le point de déborder peut-être entachera-t-elle à jamais la déferlante de mots tanguant entre la chorégraphie de la neige et les entrailles d'un abîme séduisant je suis sur l'enclume et attend la sentence du marteau sans maître frissons corps tétanisé mon dos me lance pris du nerf d'avoir marché hier vingt mille pas légers sur la terre dans les artères de Montréal à l'ombre des buildings et du Mont-Royal jour d'hiver sans vent à tonitruer le débit démentiel du Québec Redneck Bluegrass Project mon sang de bleuet en ébullition ne pas anesthésier la douleur vive du corps qui veut trop vivre art de la fugue impossible titan baroque la folle allure estie oeil humide quémandant la protection de la paupière une barrière de cils dressés desquels s'écoule lentement le sel de l'âme se défoncer le crâne à coup de Kerouac et de Whitman I contain multitudes tabarnac les mains tremblent en tournant les pages mentales la pensée entièrement tournée vers la matérialisation de ce qui ne fût qu'un songe d'une nuit d'été revécue mille fois dans mes détours et mes déroutes et la confusion du rêve ma tête décapitée trône sur la lance de mes obsessions au vu et au su de tous ceux dont je sens l'absence mais le regard scrutateur un jour je terrasserai la honte pour renaître une envie irrépressible de lire The Dead du maître une des plus extraordinaires fins de l'histoire de la vie le trouble revient ma tête va exploser trop d'images incongrues de mots insensés tertres déferlant de peur sourde harasser la nuit qu'on m'arrache les ongles suite au démembrement de l'écorché cataplexie ankylosée brume et frémissement du stupre possible incandescence des failles où partout elle se révèle dans son mystère canonique catharsis spectrale aura et halo des parfums défaits que je reconstruis dans les bribes narcotiques des blues de Ti-Jean j'irai au Mexique avec tes poèmes Ti-Jean pour sentir ta folie tes excès et ta liberté me gravir m'envahir la colonne vertèbre par vertèbre poème par poème tantôt dans la ténèbre délétère tantôt dans la brûlure d'un ciel infini toujours s'enivrer avec éthique et volonté je cueille les absinthes du soir et bois la fée verte de ses yeux dénués d'éclipses The Castle was a Dream Now learn that the water is a dream For when the Tide of Disaster Rises water will disintegrate And all will be left Is the Successful Savior Abiding Everywhere in Beginningless Ecstatic Nobody Ti-Jean du câlisse aux mille têtes chercheuses tes beats me rentrent dedans et tapent et vivent fort dans ma pauvre poitrine amaigrie spiritualité décalée que je n'ai pas j'ai choisi malgré moi le verbe apostat des fois je me dis que ça serait tellement plus simple de croire en dieu pas de majuscule désolé mais non rienàfaire dionysos peut-être à bien y penser pourrait me servir d'auguste patron le dyonisiaque nietzschéen me définit assez bien finalement dissolution du soi dans le Tout et la Nature fougue erratique insaisissable et sensuelle je suis une pierre brûlante relents des vapeurs du bronze et du feu qui tapissent mes sens uisge beatha inestimable limon fleuve marée fauve d'une orfèvrerie nouvelle nous ne souffrirons pas de rupture de la fébrilité de l'intensité de l'émotion à l'état pur c'est pas de la colère câlisse c'est de l'énergie et j'en ai plein troplein mon être ahuri ce n'est pas un spasme ni une tempête c'est une avalanche interminable dans laquelle je n'entends que l'écho de sa voix impossible qui court dans l'errance et l'aléa superbe mot de mon globe détraqué et pourtant au bout de mon souffle qu'est-ce tout cela sinon a quintessence of dust?

dimanche 18 décembre 2016

Le temps, encore lui.

Dimanche soir, un peu avant la tombée de la nuit, je suis sorti dehors par -12 degrés avant que le froid polaire de la nuit ne s'installe. J'ai descendu Fullum du nord au sud, en ligne droite, avant de bifurquer direction ouest vers le parc Lafontaine pour me laisser aller aux aléas des dédales du soir. Pendant ma marche, je suis passé près de trois patinoires en manque de froid qui n'attendent qu'à servir de glace aux nobles confrontations qui n'existent que dans le temps qu'on leur consacre. J'écoutais C'est fou, troisième émission sur le thème du temps. Ça leur aura pris tout ce temps pour enfin parler de l'ultime Oeuvre sur le sujet : À la recherche du temps perdu. Pendant un court instant, en guise d'ouverture, ils ont souligné l'importance de l'épisode de la madeleine. Un cliché s'il en est un, mais qui au moins leur a permis de s'attarder un temps soit peu sur ce miracle littéraire. Cette madeleine certes importante, mais qui ne serait quand même rien sans le pavé mal équarri non loin des clochers de Martinville où la vocation de Marcel s'est révélée, où il a su cristalliser la matière du temps à l'état pur pour en faire le sens de sa vie. La voix grave et lente de Serge Bouchard faisait le contrepoint de ma marche rapide, je respirais à pleins poumons un air que je connaissais à peine ; Montréal vide dans le froid de décembre, un dimanche soir de surcroit, m'a permis de jeter un nouvel oeil sur le lieu que j'habite désormais, un quartier où il fait bon marcher lorsque les rues sont vides de gens, où il n'y a que la lumière des lampadaires pour surveiller ma cadence et que le bruit de mes pas sur la chaussée gelée pour fournir de l'écho à l'espace. Un croissant de lune discrète dans la soirée frisquette m'illumine de son sourire timide mais imperturbable. Cela changera demain, comme nous le ferons tous d'ailleurs. Ce soir j'ai pris le temps de prendre une marche, j'ai oublié cinquante soucis, et je m'en suis créé d'autres ; troc de tracas, je ne perds rien au change. Ce soir j'ai pris le temps de prendre une marche, j'ai tracé un trajet qui m'est propre et qui m'appartient ; j'ai bouclé une autre boucle en défaisant un des nombreux noeuds qui me traversent. En rentrant chez moi, pour me réchauffer, j'ai pris un petit dram, un tout petit wee dram de Laphroaig 18 ans, un whisky fait avec une tourbe millénaire et un feu immémorial, un whisky fait par une poignée d'hommes du nord comme moi, un whisky fait avant le faux bug de l'an 2000, avant le 11 septembre, avant notre ère débile, avant le posthumanisme et la postvérité, avant la naissance de la majorité de mes étudiants, avant que je déménage cinq fois en onze ans, avant que ma vie ne parte en déroute dans les deux derniers mois pour maintenant se replacer - si maintenant existe vraiment -, avant que je devienne qui je suis ; cette impression de me nourrir du temps alors que j'avale son feu, son métal brûlant, de pouvoir créer avec ce que je détruis, avec ce qui disparait et cesse d'exister. 

jeudi 15 décembre 2016

Sousveillance

Traditionnel post de fin de session. Huit heures de surveillance obligent. Mon local n'a pas de fenêtres, mais sur le beige des murs repose une multitude de cadres, de découpures de journaux jaunies vieillies et des photos d'enfants du tiers-monde. Quelle expression détestable que celle de tiers-monde quand même... Un local prévu pour les sciences humaines c'est sûr. Quatre gros encadrés sur le mur nord : Sociologie allemande, Sociologie française, Sociologie québécoise, Sociologie américaine. Visiblement, ma sociologie est loin, car à part Marx, Durkheim, Bourdieu et Dumont, je n'en connait aucun autre. C'est Marx qui trône au-dessous de tous autres, avec les airs d'un Walt Whitman fâché. Il ne m'a jamais vraiment intéressé, faut que je le reconnaisse.

Juste à côté, une carte du monde où c'est inscrit "Les trous noirs du web", une publicité de Reporters sans frontières. Arabie Saoudite, Biélorussie, Birmanie, Chine, Corée du Nord, Cuba, Iran, Libye, Maldives, Népal, Ouzbékistan, Syrie, Tunisie, Turkménistan et Viêt Nam. Tous des pays où les choses vont trrrrrrrès bien dans le monde. À l'exception de la Biélorussie, tous ces pays sont situés dans la même "ceinture orientale". Je pense à Alep, à ceux qui ne font rien et qui pourraient faire quelque chose. Ma bouche devient soudainement très pâteuse, un puissant arrière-goût de malaise s'installe dans mon palais et sur ma langue, et les mots horreur et génocide meurent dans le fond de la gorge parce que malgré leur violence, ils ne rendent pas compte du réel. But to flee in words, words, words...

Sur le mur est, différentes unes de journaux jaunies et plastifiées d'une vingtaine de pays que personne ici n'a jamais lues et sur le mur sud de la classe, quinze petits portraits d'enfants d'Asie et d'Amérique du Sud. Ils jouent, ils ont l'air heureux, malgré la misère et la pauvreté. Je me demande bien pourquoi certaines personnes ont décidé de mettre de tels portraits dans une salle de classe, - comme si les étudiants prenaient le temps de les regarder : cellulaire : 1 - Ti-zenfants : 0 - une volonté "d'habiller" les murs? Il y a quelque chose de tragique dans la phrase "suspendre un portrait", mais c'est quand même moins pire que "prendre un égoportrait"... La journée sera longue.

***

six semaines
de montagnes russes 
épileptiques
l'écume monte 
à la bouche 
du temps

ou c'est juste 
la mousse 
de ma bière flat
qui reste 
pognée 
dans ma barbe
et se mêle 
à mes larmes

***

J'ai terminé mes cours cette semaine. Quinze semaines passées avec eux. Je les ai vus changer sous mes yeux. Y'a pas à dire, ça torche en crisse Hamlet. J'ai eu plus de poignées de main que je l'espérais, en plus d'un lapsus de course fait par une étudiante qui m'a dit que j'étais "son-mec-euh-son-prof-préféré". Et elle de sortir de la classe d'un pas allègre et léger, comme si de rien n'était. J'imagine facilement l'odeur safranée du désert de sa peau. Avant de m'endormir hier, j'ai cherché dans mes draps que je ne lave plus ton odeur évanouie, mais je n'ai trouvé que celle de mes sueurs froides et de mes frissons. Errances dans les golfes dolents de courbes qui se sont dérobées, que je ne connaitrai plus. Back to Kerouac. C'est officiel, je ne surveille pas aujourd'hui, je sousveille. Je suis d'une inefficacité exemplaire. Kerouac et Shakespeare, voilà métaux bien plus attirants. Je continue d'arpenter les dédales étranges des délires des Blues de Ti-Jean ; à travers les nombreuses incompréhensions non-dénuées de beauté et poésie, sa prose transpire une liberté pure, une fureur de vivre peu commune même si elle est sublimée en une déroutante autodestruction. Dépasser les limites, est-ce là qu'on vit le plus? Vu mon état, Kerouac est un dangereux poète pour moi présentement. Et c'est pour cette raison qu'il est terriblement fascinant.

***

jeudi soir dernier
je devais écrire 
après notre rencontre
à l'Escalier - murs
de vieilles bibles 
médiévales allemandes -
mais j'ai perdu 
mes poèmes
dans la tempête

- quel est la différence
entre la douleur 
et la souffrance? -
l'encre ne suffit pas 
à éteindre
le volcan qui implose
le soufre et la cendre
que je respire
il me faut des eaux-de-vie
plus intenses

je fossoie
ma tombe morale
dans l'excès de 
transports éthyliques

***

First witch : All hail, Macbeth!! Hail to thee, Thane of Glamis!
Second witch : All hail, Macbeth! Hail to thee, Thane of Cawdor!
Third witch : All hail, Macbeth that shalt be king hereafter!

C'est une malédiction cette pièce! Pleine de vérités révélées dans la puissance des ténèbres. Le bruit et la fureur résonnent dans chaque scène. Les ombres séduisantes de nos ambitions nous trompent et l'on se perd dans le chaos labyrinthique de notre cerveau. O, full of scorpions is my mind, dear wife!

Present fears 
Are less than horrible imaginings. 
My thoughts, whose murder yet is but fantastical,
Shake so my single state of man that function
Is smother'ed in surmise, and nothing is
But what is not.

Seul est ce qui n'est pas. Songes et désirs terribles d'un homme à qui l'on promet gloire et pouvoir, que ne ferait-il pas pour l'atteindre quand en plus le charme et le chantage du succube aimé opèrent sur son orgueil les plus viles mélodies? Art thou afeard / To be the same in thine own act, and valour, / As thou art in desire? Ça doit faire 20 fois que je lis cette pièce et elle me hante quand même à chaque fois. Quoi de mieux pour habiller les murs beiges de ma classe sans fenêtres que la superbe sinistre d'une passion meurtrière à l'état pur?

***

j'aimerais voir 
tomber sur le jour
sur le soir et ton corps
un voile de soie
diaphane

les mains en manque 
d'épiderme dans
l'absence de ta chair
ne frôleraient 
que la douceur
du tissu sur 
ton être évadé

le souvenir restera
mais s'étiolera
et fera du futur
un nouveau présent
où je continuerai
d'être qui je suis

mardi 6 décembre 2016

Une autre nuit de sommeil infirme, de rêves amputés. Dans l'insomnie, un souvenir d'il y a quelques jours à peine me revient, mais ce souvenir est tel que j'ai l'impression qu'une année complète vient de passer. De la lenteur du temps qui passe dans la solitude. (L'autre soir, la chaussée mouillée augmentait les bruits de pas de la foule dans ses reflets de lumière foncée, cette atmosphère me rappelait systématiquement Eyes wide shut de Stanley Kubrick, toutes ces scènes où Tom Cruise déambule dans un New York glauque à la recherche de fantasmes qu'il croit avoir mais non. Révéler à chaque pas un peu plus d'inconnu. L'insatisfaction du désir à portée de main crée le désordre, l'amertume, la frustration. Habituel mardi trop long, j'ai eu très hâte, pour une première fois, de rentrer chez moi. La déprime postbrosse passée, il faut rapprivoiser la solitude. Mais le dialogue est incomplet, il manque une partie.) Comme d'habitude, trop d'idées me courent dans la tête, incapacité d'en faire le ménage. Échos de mes pensées qui me répondent. Obsessions et ouroboros des songes s'autodévorant en même temps qu'un appétit anémique où le corps s'autodigère. Le matin, alité, les tempes bouillantes, je peine à me lever. Réveillé, je le suis depuis trop longtemps déjà. Illusion du sommeil bercé par la musique qui joue sans cesse. Rapprivoiser la solitude. Me rappelle à quel point je suis un consommateur d'art. Si je namedroppais tout ce que j'ai regardé, lu et écouté, mon post ferait le double de tout ce que j'ai écris depuis des mois. Recul de 12 ans en arrière lorsque, dans mon Saguenay natal quand je travaillais au Archambault, je clenchais tout ce qui se faisait de nouveau. Je suis de retour en mode tête chercheuse. Lentement mon insatiable curiosité fait peau neuve. En me dirigeant vers le travail, c'est le parc Angrignon qui fait ma journée. Il a neigé toute la nuit. Torpeur des tertres endormis sous le tapis de neige. Les eaux grises de l'étang insufflent toute leur mélancolie à la scène. Florilège éphémère. Les flocons tombent dans l'indifférence et n'estompent pas ma douleur. Serait-ce la crainte des jours à venir? La quarantième de Mozart est tout ce qui compte aujourd'hui... Est-ce que je dois ordonner tout ça? Peaufiner le chaos de la spontanéité? Ce n'est pas de la neige, c'est de la cendre. Le bruit sourd de mes pas résonne, je suis la seule présence dans le parc vide. Prémisse de l'hiver souhaité? Et les pensées s'éparpillent et meurent comme des flocons que le vent dépose sur ma fièvre.

mardi 29 novembre 2016

"Une chose, encore à présent, me paraît curieuse. Jamais auparavant je n'avais été poursuivi par des idées noires. Ma seule source d'intérêt, mon seul problème, c'était la Beauté. [...] Quand on concentre son esprit sur la Beauté, on est, sans s'en rendre compte, aux prises avec ce qu'il y a de plus noir au monde en fait d'idées noires. Je suppose que les hommes sont ainsi faits."

- Yukio Mishima, Le Pavillon d'Or

lundi 28 novembre 2016

Une nouvelle rue. Le vent dans les arbres remplacent le trafic que je me suis habitué à entendre lors des neuf dernières années. Les cartons empoussiérés jonchent le sol, je défais ce qui reste de ma vie. Je plane j'ai peur pieds et poings liés empêtré pris dans l'étreinte d'un spectre que je ne connais pas.  Beethoven meuble le silence parce qu'on revient toujours à lui. Ses immortels quatuors à corde. La musique prend la parole de la mélancolie pour un temps. Déjà des souvenirs de tes yeux d'ambre et de jade, petites éclipses éclatées qui m'ont rendu aveugle. Arborescence des failles de dessinant dans un jet de lumière. Ici c'est sombre, novembre agonise, les prochaines semaines annoncent des promesses mitigées. L'impression que les mots et les images simples ne suffisent plus. Les échos des brisent sur les récifs de l'entêtement. Les métaphores fixent le flou et chuchotent les murmures, les rumeurs de mes obsessions. Je ferme les yeux mais ne vois rien. J'ai le spleen infirme d'espoirs démembrés. Écoute attentive de la nuit qui tombe trop tôt. Le sang s'immobilise. Mémoire de ma tête lovée dans ta nuque. Le parfum que ta sueur distille. Fossé profond, mon corps prostré sur ton absence. 

J'entame la longue autopsie de ta disparition. 

jeudi 17 novembre 2016


suis pris entre chien et loup
écartelé par les juments de la nuit
sur le fil, entre les deux, le point
où ça se brise ou se répare

un spasme escalade en avalanche
ascendant les reliefs de mon dos
et dehors le vent exalte l'étrange
         en salves de concerts désaccordés

vendredi 11 novembre 2016


Cohen in ears and heart
Kerouac in eyes and soul
a small shadowfall of tears
          in between

jeudi 10 novembre 2016

105th chorus

Essence is like absence of reality,
Just like absence of non-reality
Is the same essence anyhow.

Essence is what sunlight is
At the same time that moonlight is, 
Both have light, both have shape,
Both have darkness, both are late:

Both are late because empty thereof,
Empty is light, empty is dark,
    what's difference between emptiness
    of brightness and dark?

What's the difference between absence
Of reality, joy, or meaning
In middle of bubble, as being same
As middle of man, non-bubble

Man is the same as man,
The same as no-man, the same
As Anyman, Everyman, Asiman,
           (asinine man)
Man is nowhere till he knows,

       The essence of emptiness
          is essence of gold.

- Jack Kerouac, Mexico City Blues

lundi 7 novembre 2016

esquisse

(écrire ce qui sort
sur ce que je voudrais qui rentre)

la futilité du puits de lumière
en pleine nuit
point de fuite vers nulle part
le ciel est trop pollué
pour voir les étoiles s'offrir
- atmosphère toxique
formol d'une mort lente
où je respire embaumé d'avance -

fracas de distorsions
on débranche et rebranche
les fils des heures discontinuées
glitchs assassins violentant l'ouïe
les basses grondent et se perdent
dans les murs qui tremblent
dans leurs fondations agglomérées

je regarde à nouveau
dans le puits de lumière inutile
le degré zéro des nuances
du ciel de la nuit tombée
tronquée par le teint du verre sale
usé des exhalaisons humaines
passées et présentes, moments tannés
les fossiles de nos paroles ne sont
que taches sur les murs indifférents
graffitis dans les toilettes décrépites des tristesses
et poussières sur les vitres insoupçonnées
de nos prisons de verre
des doigts gras sur les écrans éphémères
de nos projecteurs atrophiés

(voudrais être cet arbre seul
et reculé qu'on ne coupera pas
tout simplement
parce qu'on ne sait pas qu'il existe
parce qu'on ne le voit pas)

l'automne en mal de braises
n'offre que des cendres
une cape d'encre aux reflets
brun rouge jaune orange
- la superbe rouille des feuilles -
qui protège du vent
et des larmes qu'il enfante

cris du froid sur la matière exsangue
le crin du soir tourne à l'argent
des murs en papiers alu
nous renvoient nos vrais reflets
d'hommes déformés
finesse de l'acrylique
noir de messes lyriques
dans lesquelles se perdent
l'écho des regards furtifs, échangés
dans le tamis de la nuit
que filtrent les humeurs
le soir invite à boire
toutes les vielles lies accumulées

un profil en contrejour
perd ses détails et la
délicatesse des traits
découpe une lumière trop lourde
dessine une étrange harmonie
le long du fil qui vient de rompre


vendredi 28 octobre 2016

Un vieux fond de poème retrouvé dans un vieux fond de notes, un vieux fond de mémoire : précision et clarté du métal quelconque / un spectre d'or et de bronze / dans la chicane des heures / les années qui passent me repoussent / il y a dans l'ombre / ce que je ne connais pas de moi. 

Il recule un peu sur sa chaise, tend son dos vers l'arrière et les bras en avant comme pour scruter son calepin avec un peu plus de distance. L'encre agglutinée en minuscules essaims noirs montre qu'il avait écrit ces lignes très rapidement, probablement pour ne pas les oublier, mais réflexion faite il se dit qu'il aurait bien pu les oublier, que ça n'avait pas d'importance, que ça ne changeait pas grand chose de toute façon.

La matinée avance trop lentement et les murs beiges formatés et le bruit du ventilateur de la classe sont à vouloir se pendre. Il devrait surveiller ses étudiants avec plus d'assiduité, peut-être qu'il y en a quelques-uns qui pourraient être tentés de tricher paranoïa ridicule on en est rendus là, mais le matin est embaumé par l'ennui, même pas un ennui mortel, ce qui serait quand même quelque chose, mais non, juste un ennui bien plate ; le point central du spectre de l'ennui, celui qu'on ne peut qualifier car ça serait lui donner un aspect, une couleur, mais non, ce présent ennui est sans qualité. 

Il porte son regard sur les autres autour de lui. Tous sont penchés sur leur examen avec plus ou moins de zèle. Il s'attarde sur de petits détails ici et là, les petites manies de chacun. Toutes les filles tôt ou tard en viennent à se tricoter d'une main une mèche de cheveux de façon singulière pendant qu'elles écrivent, c'est immanquable. Les garçons jouent sans cesse à faire tourner leur crayon avec leurs doigts, dextérité qui n'est pas donnée à tous. Toutes les têtes sont penchées dans des angles quelconques, il n'y a aucune symétrie qui vaille. Il faut transmettre aux étudiants un savoir, une culture, des connaissances et non leur enseigner des compétences obsolètes qui seront demain désuètes. Il se rappelle avoir lu ça cette semaine. Pourquoi vouloir seulement l'un ou l'autre? Pourquoi ne pas faire les deux? Le savoir libère de l'esclavage de l'ignorance, c'est tout ce qui importe. Trop de pensées se bousculent dans sa tête en même temps, impossibilité d'ordonner le chaos, ça part dans tous les sens. Il vient de se rendre compte qu'il a paqueté Joyce trop vite, quand il veut ordonner le chaos, c'est toujours Joyce qui lui vient en tête en premier. 

Un étudiant glandeur comme c'est pas possible vient lui poser une autre question niaise. Il pue un parfum cheap digne du marché aux puces de Saint-Eustache (ça sort d'où ça?) Le micro douche swag tout petit petit pas tough guy pantoute partira tantôt en claquant la porte, pressentant l'échec, dans sa médiocre superbe. À droite, les cils faux ou pas, l'on ne sait pas, de Sara, tellement longs ses cils qu'on pourrait y accrocher le jour et la nuit en même temps, battent comme papillons sombres d'un désert maghrébin "...so we'll live, and pray, and sing, and tell old tales, and laugh at gilded butterflies..." Ô madman's wisdom. Les regards errent encore au gré des pensées. Vince aux mille questions dans le fond de la classe ne fait qu'ajouter à la confusion. 

"Il vous reste 67 minutes." 83 de passées. Ils ont tous leur dictionnaire ouvert et pourtant ils feront une trâlée de fautes quand même. Allez comprendre. Un oiseau passe en coup de vent dehors, il le voit à travers les grandes fenêtres une bénédiction de la classe décrépite. Il y a des taches brunâtres sur le plafond suspendu qu'est-ce que ça peut bien être c'est comme si le plafond avait lui aussi ses cernes des sueurs. À défaut de Joyce à consommer précipitamment, il y a quand même Hamlet qui traîne sur le bureau. Si seulement un autre oiseau pouvait passer... Les fenêtres ouvrent sur le parc Angrignon, l'un des plus beaux de Montréal, surtout à l'automne. D'énormes mais bien énoooormes érables et chênes aux centaines de teintes du vert au jaune orange au rouge rouille et oxydation de la flore tranchent net avec le gris amorphe du ciel. Horizon découpé. Les arbres ne dansent pas aujourd'hui parce que le vent boite, il est bien trop épuisé d'hier où il a soufflé ses cornes toute la journée, c'est qu'il a venté en diable le vent! 

Il lui tarde d'aller marcher dans le parc pour entendre le son de ses bottes crisser délicatement sur les feuilles mortes mais souples par l'humidité. Sûrement qu'elles vivent un peu d'ailleurs. Lente agonie de la feuille. Leave, mot à deux tranchants. Leaves of grass, si Joyce est paqueté, il sera remplacé par le grand Walt estie! Chantre de la vie et de ses sens, de la vie et du sens! You bet you celebrate yourself you too-big-to-measure piece of man! Übermensch of multitudes! Quoth Hamlet : "What piece of work is a man! How noble in reason, how infinite in faculties, in form and moving how express and admirable, in action how like an angel, in apprehension how like a god : the beauty of the world, the parangon of animals!" Mais c'est après que ça se gâte : "And yet to me what is this quintessence of dust?" Cette quintessence de poussière!... Ô sweet prince. Beau prince si sombre, si mélancolique et si lucide dans ta folie, homme de toutes les époques qui t'ont suivi, ultime anachronique, tu as inventé l'humain des quatre derniers siècles. Pour le meilleur et pour le meilleur. 

Bruits de pas sur le tapis de feuilles. Bruits des pensées qui se fragmentent, se fusionnent, se divisent, disparaissent et renaissent. Bruits du barbaric yawp over the roofs of the world (quel glorieux vers!) de Walt. Bruits du spleen du beau prince sombre. Le chaos ne s'organise pas pour autant, des flèches sont lancées à travers les chairs lacérées des derniers jours, une légion de serpents creuse et fouille les blessures, chaque regret est autant d'aiguilles enfoncées dans les coeurs nus, les visages gravés de larmes baissent les yeux et attendent encore ce qui ne vient pas, les griffes arrachent les mâchoires des échanges avortés, le cerveau se repli sur lui-même en hurlant pour que l'horloge s'arrête... a quintessence of dust!!! 

mais l'espoir est pas tuable
même dans la douleur et la tristesse 
peut peut-être naître 
                           un peu de beauté


lundi 24 octobre 2016

De la beauté de la simplicité


"... ma solitude se moule au silence..."
                                                                       - Serge Bouchard

vendredi 21 octobre 2016

oh you old poor poor Jameson
please pour pour again and again
                    that old poor Jameson
                    so I can quench my thirst
                    my fool's sorrows
                    in Erin's gold

dram oublié aux couleurs de cuir
cuivre félin du signifiant féminin
                    mélodie soufrée
                    du crépuscule qui titube
                    dans ses textures diverses
           protège le feutre de l'air
           et l'érosion des erreurs
           à ne pas refaire

trouver ses aises dans le chaos
cohésion entrecoupée
           soubresauts fluides
           des phrases bien jouées
           sur l'ébène des corps
sculpturale amante
aux courbes métaphysiques
où naissent nos légendes

pour pour again some son of James
qu'on oublie nos drames
                        nos ratures
que revivent nos amours éthyliques
           créatures pures et neuves
           d'un nouveau bestiaire à créer
                                                    ensemble

jeudi 20 octobre 2016

je marche tout le long d'une journée longue d'un automne fiévreux dans les rues désertées de la ville. avec l'étrange sentiment de ramasser sous mes semelles les peaux mortes des passants m'ayant précédé. un jour sans lumière. sans chants d'oiseaux. que le requiem inaudible et déferlant des feuilles qui tombent des arbres. un ciel gris et laiteux qui semble plus âgé qu'il ne peut l'être. je ne vois personne. je ne fais que regarder. mes regards aussi se perdent et tombent comme les feuilles d'automne.

je rentre dans mon appartement vide. une lumière à gros grains éclaire-obscur mon salon. une lumière artificielle. j'allume quelques chandelles pour contrefaire l'artifice. mon chat somnole sur le divan. thé chai bouillant. pile de livres carnets et crayon. et je m'enfonce dans mes lectures. aucune stupeur et aucun tremblement. que les frictions indicibles de mon corps lové dans l'atmosphère engourdie. douce solitude crépusculaire. 

soudain j'entends la voisine à travers nos murs de carton-pâte s'énerver paniquer puis éclater en sanglots. son copain n'est pas là. elle doit être en train de parler au téléphone. elle pleure assez fort pour que je l'entende à travers ma lecture. je ne comprends pas ses mots mais devine qu'ils sont graves. ça dure quelques minutes. puis j'entends sa porte d'entrée se fermer dans un fracas. départ en trombe. silence du lieu endeuillé.

je suis incapable de retourner lire. je m'imagine mille scénarios. la voisine toujours souriante vient de perdre de son innocence et de sa candeur. mes pensées sont toutes ailleurs désormais. je ne saurai pas ce qui lui arrive. puis sans raison une image me vient en tête. pendant plus d'une heure elle m'obsédera sans que je puisse m'expliquer pourquoi. irruption totalement involontaire et incontrôlable. et je me demande combien dans cette ville et dans ce monde de personnes seules prient en silence dans le désoeuvrement le plus complet. dans l'indifférence. dans l'attente désespérée d'une réponse. d'une réponse qui ne vient pas. et qui ne viendra jamais.


lundi 17 octobre 2016

autoportrait du doute?

Et si j'étais le seul à voir ce que je vois comme je le vois? Bien sûr que personne ne voit de la même façon, mais ça ne me suffit pas. Pourquoi je m'imagine le vent comme l'écho de chants anciens, proscrits, prières hérétiques, poussé par une force encore plus ancienne? Les couleurs et les formes que le temps et l'espace trace sont autant d'énigmes à déchiffrer. Divers reliefs et détails que je crois comprendre, pensant très naïvement être le seul à les comprendre. Parce que je persiste à voir dans l'immuable un perpétuel mouvement - l'immobilité n'existe pas, même dans les ténèbres les plus stoïques, la mue de monstres impossibles s'opère, et même les photographies, les statues et les temples nous hurlent toute la poésie du silence. Une grande faux métaphorique frôle puis s'enfonce dans la plaie, ces ruptures du chaos que je cautérise avec le feu de l'encre. Je fouille en moi et ne trouve que ce qui me dépasse, écartelé, contredit, entre deux absolus. Je tangue sur le fil au-dessus d'un précipice impitoyable qui me toise de loin. Paradoxal, j'observe à la croisée des dimensions abstraite et concrète un chemin qui me refuse et se voile. Mais je ne reste pas immobile, ma pensée court sur ces détours et je ressens une liberté hybride en mutation se réveiller, cette idée qui m'obsède, ce sentiment qu'elle ne mourra qu'avec moi pour, peut-être, mieux naître ensuite.

mercredi 12 octobre 2016

- réunion de merde Don Racine a saboté
fracassé ferme la boîte de Pandore
et les délirantes inepties des collègues insécures
font ressortir ennui colère et découragement
ne laissant que la possibilité de la fuite
devant cet éhonté gaspillage du jour -

(réminiscences du week-end passé
mais les fantômes s'immiscent dans le verbe
leurs mouvements jettent éclats aveuglants sur la page

(en arrivant à Chicoutimi tradition et soif obligent
l'odeur unique mais commune de notre dép de prédilection
où l'on a fait tous nos premiers méfaits d'arme
nous lance une madeleine de Proust un peu cheap
en plein dans notre nez notre face nos souvenirs
prescience du grand Marcel qui a vu
dans le retour sur nos pas la somme
de l'équation du temps et de l'âme

dans le même esprit ces retrouvailles
après vingt ans passés trop vite
soirée à dériver vague dans l'orbite de nos mémoires incertaines
délires ivres échangés dans la plus belle humeur
comme si toutes ces années n'avaient jamais existé
mais ça reste quand même
un sacré coup de poing dans le visage du temps
pansé toutefois par les sourires de beaux humains
les excès ont fait fi de la nuit ont repoussé le sommeil
sculpté de nouveaux souvenirs et donné
beaucoup de sens et de beauté à tout ça))

jeudi 6 octobre 2016

"Fainter and fainter grows the light. It is as if another double-handful of darkness had been scattered through the air. Now it is no longer grey, but sable. There is still a faint appearance at the window; neither a glow, nor a gleam, nor a glimmer,---any phrase of light would express something far brighter than this doubtful perception, or sense, rather, that there is a window there. Has it vanished yet? No!---yes!---not quite! And there is still the swarthy whiteness,---we shall venture to marry these ill-agreeing words,---the swarthy whiteness of Judge Pyncheon's face. The features are all gone: there is only the paleness of them left. And how looks it now? There is no window! There is no face! An infinite, inscrutable blackness has annihilated sight! Where is our universe? All crumbled away from us; and we, adrift in chaos, may hearken to the gusts of homeless wind, that go sighing and murmuring about in quest of what was once a world."
- Nathaniel Hawthorne, The House of the seven gables

mercredi 28 septembre 2016

Quatuor à cordes no°14 en do dièse mineur, Op.131 - Adagio quasi un poco andante. Schubert demanda qu'on lui joue ce quatuor alors qu'il agonisait dans l'anonymat, malgré 9 symphonies d'une puissance intemporelle et plus de 600 lieder tout aussi intemporels. Je vois dans des yeux absents des cathédrales de cordes. Dans les mouvements lents, en plus de l'allegretto de sa 7ième symphonie, le grand Ludwig van a écrit avec cet adagio un des plus beaux cent secondes de musique de l'histoire de l'humanité. Vibrato des sentiments partagés dans le vent d'automne. Les détresses communes s'estompent ne serait-ce qu'un peu dans la franchise de paroles et de confiance échangées. Cette musique révèle les larmes de ceux qui, par pudeur, n'ont pas voulu en verser.

Cherche les secrets insoupçonnés, les trésors que dissimule le banal voyage du jour. En parlant du grand Gogol, Nabokov disait que "chez lui, les vivants sont les morts", et c'est valable pour nous aussi. Visages des étudiants qui, à ma grande surprise, acquiescent sans broncher - cette impression d'avoir fendu à coup de hache la racine de leur incrédulité, comme si soudainement, ils venaient de comprendre quelque chose. Nous sommes tous le fantôme de quelqu'un, ou le fou de l'Autre. Chez Gogol, les vivants sont les morts. Mantra qui comme le chèvrefeuille dans le cerveau détraqué de Benjy du Bruit et la fureur implante le germe d'un délire nécessaire ; sublime sublimé de l'art novateur et radical, sans équivoque, qui déploie dans notre pensée les promesses de bourgeons purs.

Allegro. 388 mesures. Supercordes qui n'auraient pas déplu à Bibi, qui déchaînent la fureur du génie sourd les mots vains s'écrivent dans l'ombre de plus grands concerts, les archets violent veines et sang, secousses et corps s'évadent, et nous réduisent à notre néant, à notre nudité spectrale, nous sommes tous le fantôme de quelqu'un. De Lear dans la tempête de sa chute jusqu'où la vanité peut mener, délires dans l'aube dorée où dansent les fous qui ont peut-être trop aimé. Et puis Jack Kerouac, dans la chaleur de Mexico, sur les morphine, alcool, weed, benzédrine, dit : "Absence of phantoms/make me no king". Tous les rois que nous sommes, maîtres de nos royaumes solitaires, illusoires et déserts sont hantés. Par tous ces beaux ou moins beaux fantômes qui ont été, qui sont et seront - combien de fois morts déjà, puis ressuscités.

samedi 24 septembre 2016

(j'entends un appel en ce
jour de grands vents
une musique que moi seul entends
Miles Davis Ascenseur pour l'échafaud) 
l'automne me darde de flèches argentées
dans mon aveuglement
j'ai vu un revenant aujourd'hui
incrédule, mon coeur
a fait deux tours dans ma poitrine
pour moi dix ans se sont effacés
dans un seul regard
je l'ai reconnue
elle, pas
je suis devenu un souvenir oublié
bien refoulé dans son inconscient
je suis devenu son fantôme
(nous sommes tous le fantôme de quelqu'un)
à elle qui n'y croit pas

mardi 20 septembre 2016

extrait incomplet

Tiraillé, écartelé même par des émotions se faisant cheval de trait et cheval de Troie, se faisant jument de la nuit en plein jour, je m'avançai dans la ville à la recherche de nouveaux repères. Direction marché Bonsecours (le nom est crissement d'adon) pour voir le World Press, question de marcher un peu dans l'histoire passée et présente. Rendu sur place, y'a une trâlée d'étudiants, du secondaire probablement parce qu'ils ont tous un uniforme ; ils parlent fort leur franglais prévisible, s'ils n'avaient pas de devoirs reliés à cette expo, je me demande quel serait leur niveau d'attention et de concentration... la grande majorité semble s'en foutre royalement, la grande majorité prend des photos des photos exposées - soupirs - je ne comprends pas. Mais est-ce qu'il y a vraiment quelque chose à comprendre de cette stupide mise en abîme? (Oui mais c'est une mise en abime! - une des meilleurs répliques de tous les temps) Reregarderont-ils à nouveau, encore et encore, toutes ces photos de ces tragédies humaines exposées devant leur confort et leur minime empathie qui s'estompera dès leur prochain statut Facebook? Soupirs répétés. Je fais le tour de l'exposition. On dirait que le vieux continent est en train d'échouer. Guerres en Syrie, au Liban, en Égypte, autant dire dans tout le croissant fertile (quelle appellation étrange et profondément paradoxale). Dizaine de milliers de morts, centaine de milliers de blessés, plus d'un million de réfugiés. Pendant combien d'années à venir les côtes et les berges de la Méditerranée accueilleront et ramasseront les dépouilles noyées, gonflées et délavées par l'eau salée - cette mer est le phylactère d'un terrible roman sans images en train de s'écrire, et la fin s'annonce horrible -, grugées par les poissons, les poumons remplis d'algues ? (Il paraît que la mort par noyade est l'une des plus douloureuses, elle ne dure qu'un bref instant - cet instant de la gorgée fatale qui remplit les poumons d'eau - mais c'est une douleur extrême qui survient lorsque les bronchioles et les alvéoles pulmonaires sont en contact avec l'eau - j'ose à peine imaginer la noyade dans des sables mouvants) Ou bien est-ce l'Europe qui échoue dans la gestion de cette crise, dans cet accueil des réfugiés, dans cette incapacité à venir à bout de ces djihads? (Et ils osent appeler ça une guerre sainte!... Aucune guerre ne sera jamais sainte, ultime paradoxe qui pourtant est le moteur de notre nouveau et triste millénaire.) Où en est le Moyen-Orient, prisonnier des étaux de la régression, de la radicalisation, des croyances archaïques et de la religion faite idéologie? Pause, grandes respirations, une image apparaît. Une de mes anciennes étudiantes qui était toujours voilée vient de laisser tomber son hijab dernièrement ; la seule chose que je dirai est qu'elle a les plus beaux cheveux que je n'ai jamais vus et qu'aucun dieu, faux ou vrai, ne mérite qu'on masque pareille parure, c'est refusé la beauté à la nature sage, à l'histoire et à l'humain que de porter de tels masques. À l'exposition, il y a une section catastrophes humaines, une section catastrophes naturelles, une section drames humains isolés et une section nature. (Tour à tour tremblements de terre au Népal je n'énumérerai pas les victimes ; usines au charbon en Chine le tiers de la pollution mondiale pour le septième de la population mondiale ; encore des irradiés de Tchernobyl ils sont là à chaque année, supposés nous rappeler un souvenir unanimement oublié ; viols à répétition de soldates de l'armée américaine horrible constat d'une phallocratie inébranlable (ou ne serait-ce pas plutôt une phallocratie inbranlable? ne serait-ce pas là l'explication à tous ces problèmes?) le malheur et la misère ne sont pas l'apanage du vieux continent ; esclavagisme, torture et trafic d'enfants au Sénégal ; une baleine à bosse et son baleineau superbe mot puis une série de portraits qui dissimulent autant que possible la douleur des sujets, même si elle demeure là, plus implicite il est parfois nécessaire de la montrer dans sa plus horrible violence même s'il s'agit de cadavres d'enfants tirés des décombres de guerres adultes ce paradoxe de faire ressortir la beauté des pires horreurs cette phrase est un calvaire, le chaos même sans le vouloir) En sortant de l'exposition, soudainement, mes membres sont plus détendus - relativiser la souffrance j'imagine - le vent et l'air sont meilleurs, le Vieux-Montréal est superbe, malgré la colonie de cônes qui s'implante, je marche dans les pas de vieux fantômes - j'entends À la claire fontaine dans ma tête. Envie de bouger de marcher encore et encore pour se rendre à L'Escalier. M'en va rejoindre mon frère d'une aut' mère. Les tracas sont partis vitevitevite, puis sont revenus aussi vite pendant que j'arpente le pavé centenaire de la rue Saint-Paul bizarre action que celle de se faire le témoin de la souffrance des autres pour estomper la sienne. On arrive à L'Escalier - "J'aime ça ici, c'est vraiment un repère d'éclectiques complètement fuckés ; tu devrais voir la fille qui vient de passer, une vraie slut à Jacques!" qu'on entend. Des étudiants en lettre à côté parlent de Shakespeare, le geste et la parole se retiennent d'intervenir, je veux voir du monde, pas leur parler. On avoue qu'elle ne laisse pas grand place à l'imagination, elle a plus de peau que de peaux, une camisole de GG Allin, qui n'en est plus une tellement elle est rendue déchirée par les coups de fouets de révoltes avortées. Et les histoires disparaissent comme les humains passent. Mardi anarchie à L'Escalier, le chanteur a une guitare à 1000 piastres et une voix à 25 cennes, les regards mescalinés envahissent la place faut partir et vite la rébellion est-elle vraiment rendue une affaire de coiffure et de linge tout croche ? Désarroi et faible plainte, petites révoltes inutiles et égoïstes mon texte ne veut rien savoir de se justifier, quelle, encore une fois, superbe parce que ridicule mise en abîme!



lundi 19 septembre 2016

me suis levé bien avant le jour
fenêtres toutes grandes ouvertes
j'ai laissé la nuit dormir chez moi
tout était silence sur Saint-Denis
moment unique où j'ai cru à la solitude

puis le jour a commencé son manège
les voitures crissent sur l'asphalte
cris des enfants dans la ruelle
la grosse voisine d'en face remplit
ses mangeoires à oiseaux vertes et jaunes

corrections ou lectures
j'hésite entre le travail et l'étude
M Train traîne sur ma table
je ne pourrai plus jamais boire un café
sans penser à Patti Smith désormais
Ce n'est pas si facile d'écrire sur rien
ce n'est pas si facile de regarder le monde
comme si c'était la première fois

à la radio on parle de bombes d'attentats d'amalgames
de congestion automobile tout est paralysé
des wannabe chefs de parti s'engueulent
se bitchent se plantent des couteaux dans le dos
mais c'est ça la politique qu'ils disent
tout ça pour le bien commun mon cul
oui il est difficile de regarder le monde
comme si c'était la première fois
rien de bon tout ça pour avancer dans le jour

mais ce soir j'aurai ma poésie
et mes munitions pour espérer
dans une église devenue salle de spectacle
- l'art sublimant le divin -
Godspeed You! Black Emperor
et leur mur du son immobiliseront l'horloge
et exorciseront nos démons collectifs
le temps d'une soirée et assoiront
sur nos fronts fiers un panache entêté

mercredi 14 septembre 2016

je suspends mon haleine
          dans un travail
          qui m'indiffère

j'entrecoupe le fil
je m'offre des récompenses
          bien niaises  
          ma naïveté
          some choruses of Mexico City Blues

faux-semblant de solitude
          les pneus des chars
          creusent leurs sillons sur Saint-Denis
          le lent travail de passages répétés

ciel de suie grise
          combien de trajets devant moi
          qui donne l'impression de bouger
d'avancer
          devant moi qui est immobile
          où il n'y a que ma pensée
          tissée tricotée lousse par le vent
          qui court dans l'orage


mardi 13 septembre 2016

influence incomplète

entendre dans le vent le gémissement de la banshee les branches tremblent en petites mythologies syncopées battements hoquettements (j'apprends que ce mot est du moyen français) une plainte pourpre devenant cri qui ankylose qui s'allonge et s'étire mais sans frôler jamais la paralysie cri qui veut pétrifier le corps qui résiste comme les supercordes de la harpe j'avance dans les cases du jour et je m'arrête dans les ellipses des phylactères nettoie les planches celles où poussière et moiteur sont devenues poisseur (peut-être du moyen français aussi) anachronique j'ai rêvé et fait vivre de ces choses appartenant au passé dans une ancienne vie j'étais un fossile le faux coma de l'érosion goudron et poix du soir sur ma fatigue les lents échos des supercodes qui s'affaiblissent et cèdent souples dans le bruit suspension incandescente du souffle comme si le temps s'était arrêté pour vrai... la pause qui précède l'explosion toi qui me déchires puis me cautérises aux effusions de souffre se forment des chaînes de corps sur nos territoire et nos armures frontières tracées à la cendre reliefs de terres inconnues bégaiements de la sorcière celte cristaux et poivrefeu du sort j'avale le volcan qui m'avale j'oublie de rire dans l'aveuglement des autres et dans le mutisme du sentiment tu tu m'agaces muse hésitante ton épilepsie sourde hante mes bras ouverts mes mains levées les paumes regardent le ciel et attendent l'orage mais ne vient que le parfum des absinthes rouges rouillées dans les beautés refoulées rupture du sublime je ne raconte rien j'erre dans mes erreurs sur les trottoirs éreintés je cherche les clés des portails purs la mélodie invisible qui modulera mes heures insomniaques où s'écoule le sable de l'âme et qui taira la plainte pesante mais lancinante de la banshee qui m'habite et perdure 

lundi 12 septembre 2016

alignement des planètes

En 1849, Henry David Thoreau publie Civil desobedience pour protester contre l'esclavagisme. Tolstoi, Gandhi et Martin Luther King en feront non seulement une lecture de chevet, mais une philosophie de vie.

En 1850, Nathaniel Hawthorne publie A Scarlet letter, superbe roman dénonçant le passé puritain de la Nouvelle-Angleterre, leur dogme rétrograde et les persécutions morales qui en ont découlé.

En 1851, Hawthorne récidive avec The House of the seven gables, véritable roman gothique qui s'attarde encore une fois au sombre passé de la Nouvelle-Angleterre - entre autres, à la chasse aux sorcières de Salem - et du poids d'un passé trop lourd de péchés non-expiés. (M'est avis que ce roman est une allégorie symptomatique de l'esclavagisme qui sévit dans les États du Sud à cette époque)

Toujours en 1851, Herman Melville publie Moby Dick, qu'il dédie d'ailleurs à Hawthorne, le plus grand roman de la quête, une énorme allégorie symbolisant rien de moins que la condition humaine, écrit dans un style sans pareil encore aujourd'hui, le premier roman du monde occidental (je dirais même du monde tout court) qui se veut total et totalisant. Une lecture essentielle et nécessaire, pour ne pas dire obligatoire. 

En 1852, Harriet Beecher Stowe publie Uncle Tom's cabin, premier roman dénonçant de front l'esclavagisme sans avoir recours à l'allégorie ou au symbolisme. Au 19ème siècle, précurseur à sa façon de la Guerre de Sécession, il sera le deuxième livre le plus vendus aux États-Unis après la Bible. En 1862, quand Lincoln rencontra Stowe pour la première fois, il lui dit : "So you're the little woman who wrote the book that made this great war!"

Je triche un peu en sautant trois ans, mais j'ajouterai qu'en 1855, Walt Whitman va publier Leaves of grass, peut-être le plus grand recueil de poésie américain jamais écrit (et j'inclus ici toutes les Amériques et tous les pays qui les composent), qui eût le même effet pour l'Amérique et la modernité littéraire qu'Homère en eût pour la littérature occidentale, ou que Shakespeare pour la littérature classique, romantique et, disons-le, universelle. Lire Leaves of grass en 2016 fait réaliser que la poésie de Whitman n'a pas d'âge : elle a tous les âges, elle est en-dehors du temps, plus haut et plus loin, peu d'esprits humains ont volé à pareille altitude. 

De semblables conjonctions de forces littéraires se reproduiront ici et là, mais jamais condensées dans un si court laps de temps et jamais avec autant d'impact au niveau sociologique, politique et artistique. On peut penser aux années 1915-25 en Europe avec Franz Kafka, Marcel Proust, James Joyce et Virginia Woolf, qui réinventèrent le roman comme aucun écrivain, mais leurs oeuvres semblent parfois être une suite d'action/réaction et les intervalles entre les parutions sont bien présents. Les planètes étaient alignées, mais sur de plus longues révolutions. 

Évidemment, tout cela n'a absolument rien d'exhaustif. Et je ne parle que de littérature, à un moment bien précis. J'aurais pu parler du 19ème siècle allemand au grand complet, où la musique classique dans toutes ses déclinaisons et la philosophie ont créé un zeitgeist d'aucune commune mesure dans l'histoire de l'humanité. Ou de la Renaissance, mais on parle ici de courants s'étant échelonnés sur des décennies, voire un peu plus d'un siècle. N'empêche que j'ai été soufflé par ce "timing", comme si c'était le moment précis de la naissance de la littérature américaine. Naissance à laquelle j'assiste depuis quelques milliers de pages, qui me fascine et me donne l'impression de lire dans les racines d'un arbre qui semble vieillir trop vite récemment, mais qui, j'ose espérer, porte encore en lui les promesses de belles floraisons. 

jeudi 8 septembre 2016

le bruit est au silence
ce que les monstres sont à l'obscurité
la fumée déchirant l'air sans trop le blesser

je ne me souviens pas d'avoir entendu le silence
il y a toujours un murmure qui le berce de ses ondes

la nature que nous appelons parfois sanctuaire
est tout sauf silencieuse
parce que nous ne savons plus écouter
elle est le monde des bruits que nous ne connaissons pas
celle qui nous permet de fuir ceux des humains

le vide n'existe pas
même si son creuset se meut en chacun de nous
l'absence sera toujours la présence d'un contraire
le mutisme, l'explosion d'un plus grand cri inconnu des autres

c'est le bruit qu'il faut apprivoiser
et non le silence rechercher
et peut-être enfin l'on saura s'ennuyer comme il faut

vendredi 2 septembre 2016

des lyres automatiques

Vous souvenez-vous de cette rue où nous avions cru nous perdre? Repères distincts, cordes tendues qui creusaient nos fils sensibles, j'entends encore ce que nous avions cru possible ; contrepoints des fracas, le travail du métal fait son office, attendre le langage des érosions - je préfère me perdre, m'oublier, je voudrais que le monde me rappelle quelque chose de beau, une innocence éphémère qui n'aurait pas eu le temps de durer, de forger ces invisibles qui me hantent - j'entends les cris que vous me refusez, votre enclume comme le seuil de songes à forger, berceau de métaux nobles frappés par le marteau sans maître, je dessine lentement le télégramme de ma contingence, j'ai oublié de vivre (je vois se dessiner les racines d'un arbre plus grand que moi, dans ses sillons se cachent le temps qui rampe et la mue de l'écorce, je veux m'abreuver de sève taillée à même la chair jaune du tronc - permettez-moi les corps, permettez-moi les évasions, permettez-moi d'imaginer mes propres ennemis, mes nemesis pourpres d'un combat singulier - j'entends encore et toujours vos offrandes et me permets les écarts, vos visages éteints, ces sculptures inadéquates, fouiller ses racines et croire que nous avons lancé un écho) mais non, j'ai cru scruter le monde dans l'étang des cygnes handicapés, plumes émondées - j'ai vu dans le berceau de l'encre, dans l'aube de la fente, le puits noir de mes ombres ; dessine, caresse les corps, ces corps de territoires abstraits...  la ruelle regroupe les autres, sombres, canevas du clair-obscur, je préfère m'en remettre aux fantômes de mes nuits.

mardi 23 août 2016

"...I give you the mausoleum of all hope and desire... I give it to you not that you may remember time, but that you might forget it now and then for a moment and not spend all of your breath trying to conquer it. Because no battle is ever won he said. They are not even fought. The field only reveals to man is own folly and despair, and victory is an illusion of philosophers and fools."

- William Faulkner, The Sound and the fury 

lundi 22 août 2016

recommencer à travailler ce matin
damnée rentrée sur fond de grève - encore
devrais me mettre au travail mais non
pas facile quand on est pris dans un livre
qui ne veut pas nous laisser partir

je lis à peu près 75 oeuvres par année
poésie théâtre roman essai
si je tombe sur cinq chefs-d'oeuvre
je me considère chanceux

j'en ai un dans les mains
des rayons de lumière d'août
dans le Sud gothique des États-Unis
une écriture hallucinante si bien
que je lâche un sacre bien senti à toutes les deux pages
devant les beautés accomplies
qui émanent pourtant d'une si terrible noirceur

"Sur le quai morne, dans l'aube triste de ce dimanche matin, trente ou quarante hommes attendaient l'arrivée du train par les portières éclairées passèrent et s'arrêtèrent pour un instant avec un grand bruit. C'était un train rapide qui ne s'arrêtait pas toujours à Jefferson. Il s'arrêta juste le temps de laisser descendre les deux chiens : un millier de tonnes coûteuses de métal curieusement compliqué qui arriva, étincelant et grinçant et qui, dans un silence presque choquant, empli d'un misérable bruit d'êtres humains, vomit deux fantômes dégingandés et apeurés dont les têtes pacifiques aux oreilles tombantes contemplaient, avec une servilité triste, de pâles faces d'hommes qui, depuis deux nuits, n'avaient guère dormi et qui les entouraient de quelque chose de terrible, d'intense et d'impuissant. On eût dit que l'offense initiale du meurtre entraînait dans son sillage, et donnait à toute action subséquente, quelque chose de monstrueux, de paradoxal et de faux, contraire à la fois à la raison et à la nature."

- William Faulkner

dimanche 21 août 2016

Cycle des choses qui naissent puis meurent dans chaque hésitation. Actions entreprises le temps d'un départ, la tête qui part ailleurs ensuite, puis revient et repart. Succession d'hésitations, parfois à peine plus perceptibles qu'un clin d'oeil, qu'une pensée évasive, envolée, comme de la poussière de cendres tombant dans le silence. Et souffle le chaos des idées, le bruit se fixe pour quelques instants. Bruissements des feuilles, crissements des pneus sous la chaussée noyée. Porte ouverte pour un courant d'air. Je ne sais pas ce que je fais ici.

Il fait orage maintenant. Un orage violent mais sans éclair. J'ignore pourquoi, mais je crois entendre des promesses non tenues hurler. Troubles et craintes de l'appréhension. Des voix peignent les toiles du jour, soupirs gonflant les nuages, lourdeur d'une tristesse que n'est pas mienne mais qui m'envahit. Une tragédie se dessine. Une défaite, un abandon sans larme plane. Une décision stricte et dure vient de tomber. Elle ne me touche pas mais vient de retourner mon monde.

vendredi 5 août 2016

La ville est à marée basse. Les pas s'effritent sur. Dépouilles d'épaves asséchées sur le macadam brûlant. Cicatrices de l'érosion. Le vent charrie la chaleur comme une tempête d'haltères. Je dois me cacher du soleil. Je pense que j'ai une maladie de peau, des pustules blanchâtres apparaissent sur mes bras. Dans quelques minutes, le grand saule de l'étang du parc Jarry ne me fera plus d'ombre. Je devrai bouger. Ne pas s'enraciner dans l'été. Combat de goélands et de canards dans l'étang. Pas de vainqueurs, que des fuyards allant se cacher dans la talle de quenouilles. Leur inclinaison est dessinée par le vent, une quenouille verticale n'existe pas. Bruissements de la fontaine en arrière. Des flâneurs partout. Innombrables accents français, bienvenu à Villeray-les-bains. Des enfants pleurent et égratignent ma patience. Le saule n'a pas bougé, mais la Terre a tourné. Je suis en plein soleil. En silence, je l'insulte. Implacable, invincible. C'est qu'il est pesant, l'astre! Les fous de Bassan d'Anne Hébert. Me tombe des mains, lecture difficile, ma pensée décâlisse ailleurs. C'est Le bruit et la fureur version québécoise. Cette violence fait naitre en moi une image qui lentement m'envahit. Ça durera au moins trois jours. J'aimerais tellement être dans ton oeil, ton regard et ta contemplation. Dans la chaleur de l'été, je ne pense qu'à l'octobre roux de tes yeux. Rouille persillée de l'éclipse. Constriction et charme de reptiles incandescents. La bête à deux dos. Nous sommes loups et toisons fraîches, mousses et lichens aux griffes douces qui suintons avant la venue de la rosée. Ténèbres mauves. Corps nus dans la nuit mordante de froid et pénétrations répétées dans la complicité de l'ombre. Les arbres se taisent. Nous sommes leur prolongement. Frimas du sable sous le lit de trèfles auquel tu donnes ton parfum de feu et de neige. Énigme d'un superbe effondrement. Accumuler les orgasmes avant l'aube. Abandon total de nos peaux bleues sous la constellation que l'on invente. Les paroles superflues se noient dans nos salives. Nos âges disparaissent, nous taillons notre encoche dans le temps. Ébats primitifs, épiphanie délétère, amour assassiné dès les premières larmes. Nous faisons l'enfant que nous ne garderons pas. Ce souvenir vit dans les fossiles du sang.

mardi 19 juillet 2016

"In retrospect, it seems clear that the 'monster', as Joyce several times called Finnegans Wake in these days, had to be written, and that he had to write it. Readers may still sigh because he did not approach them more directly, but it does not appear that this alternative was open to him. In Dubliners he had explored the waking consciousness form outside, in A Portrait and Ulysses from inside. He had begun to impinge, but gingerly, upon the mind asleep. There lay before him, as in 1922 he well knew, this almost totally unexplored expanse. That the great psychological discovery of this century was the night world he was, of course, aware, but he frowned on using that world as a means of therapy. Joyce's purpose was not didactic; he wishes, unassumingly enough, to amuse men with it.

The night attracted him also for another reason.* He had begun his writing by asserting his difference from other men, and now increasingly he recognized his similarity with them. This point of view was more easily demonstrable in sleeping than in waking life. Sleep is the great democratizer: in their dreams people become one, and everything about them becomes one. Nationalities lose their borders, levels of discourse and society are no longer separable, time and space surrender their demarcations. All human activities begin to fuse into all other human activities, printing a book into bearing a baby, fighting a war into courting a woman. By day we attempt originality; by night plagiarism is forced upon us. In A Portrait of the artist as a young man Joyce had demonstrated the repetition of traits in the first twenty years of one person's life; in Ulysses he had displayed this repetition in the day of two persons; in Finnegans Wake he displayed it in the lives of everyone.

The language of the new book was as necessary to it as the verbal arrangements of his previous works to them. He had already succeeded in adapting English to suit the states of mind and even times of day, but chiefly by special arrangements and special kinds of words in different chapters. Now, in Finnegans Wake, a polyglot language had to be brought, even more daringly, to its own making-house.** To imitate the sophistication of word- and image-formation in the unconscious mind (for Joyce discarded the notion that the mind's basic movements were primitive), he took settled words and images, then dismembered et reconstitute them.

In his earlier books Joyce forced modern literature to accept new styles, new subject matter, new kind of plot and characterization. In his last book he forced it to accept a new area of being and a new language. What is ultimately most impressive is the sureness with which, in the midst of such technical accomplishments, he achieved his special mixture of attachment and detachment, of gaiety and lugubriousness. He was no saturnine artificer contriving devices, but one of life's celebrants, in bad circumstances cracking good jokes, foisting upon ennuis and miseries his comic vision."

(*The theory that Joyce wrote his book for the ear because he could not see is not only an insult to creative imagination, but an error of fact. Joyce could see; to be for periods half-blind is not at all the same thing as being permanently blind. The eyes are closed in Finnegans Wake because to open them would change to book's postulate.
**Joyce insisted to Jacques Mercanton that he worked strictly in accord with laws of phonetics. 'The only difference is that, in my imitation of the dream-state, I effect in a few minutes what may have taken centuries to bring about.')

- Richard Ellman (1959 : 616-7)

mercredi 13 juillet 2016

un autre livre neuf ouvert ce matin
et des pages et des pages lues
sans voir le temps passer
j'enchaîne les livres à un rythme peu commun
les jours qui défilent me semblant être
une longue et minutieuse addition de lectures
mais ne sont en fait que l'accumulation de mes obsessions
je lis et n'écris pas assez mais je sens en moi
se distiller l'absinthe qui amènera la création
je dois seulement prendre mon temps

Mrs Dalloway où Virginia Woolf
déploie lentement toutes les pages de sa pensée
les délicates impressions si furtives parfois
un parfum une chevelure une démarche
que des parties des infimes particules
de la grande synecdoque du monde
que le regard et l'être cherchent
désespérément à embrasser et à déchiffrer
mais qui ne resteront bien souvent que
les brouillons de nos impressions

les jours passent et se réchauffent
canicule de course au mitan de la semaine
mais même pas près d'un jour à Delhi
où j'étais à pareille date il y a trois ans
en train de découvrir l'inconnu et les vraies amitiés
que je chéris encore aujourd'hui et à tous les jours
Inde folle impossible où j'irais me perdre encore et encore
mais non je ne peux que subir l'atmosphère lourde
d'une ville que je connais déjà trop
ralenti par les lieux communs d'un exil stagnant

rouvrir un autre livre retour à l'autre à l'inépuisable
à celui à qui on collait souvent quatre sangsues sur l'oeil
pour qu'elles drainent le sang qui s'y accumulait
à celui à qui on arracha toutes ses dents à quarante ans
alors qu'il venait d'écrire l'histoire d'un grand jour et qui
s'apprêtait à écrire l'Histoire du monde dans sa grande et longue nuit
"Of Ulysses, I made it out of next to nothing. 
Work in progress I am making out of nothing.
But there are thunderbolts in it."
Les fameux "ten hundredletters thunderwords" du Wake

voilà ce qui m'attend et mon impatience est fébrile
même si je crains ce livre plus que tout autre
livre de la nuit monde du rêve invention d'un nouveau langage
pour exprimer les incertitudes noctambules
avatars de la conscience et de l'inconscience
et de toutes les perceptions naviguant entre les deux
cet état inévitable entre le sommeil et l'éveil
celui où je perds pied alors que je ne marche pas
celui où je me tords de spasmes sous des coups inexistants
celui où nous sommes complètement impuissants de nous-mêmes

chute et renaissance cathédrale de nocturnes
il me semble entendre le piano angoissé mais sublime de Chopin
connections ordinaires et prévisibles
en attendant celles terribles et absconses
pluralité des sens et volonté de détruire les barrières des langues
joli rêve quand même que celui de vouloir terrasser
l'incommunicabilité des êtres de la Terre
mais le prix à payer fut énorme et pire, immortel
être voué à l'incompréhension quasi totale
mais cela ne fait que décupler mon insatiable curiosité

mercredi 6 juillet 2016

tennis as a religious experience

fait que je voulais faire plein de choses aujourd'hui
mais j'écouté Wimbledon
Federer contre Cilic
puis Tsonga contre Murray
10 manches
3 heures 17 minutes
puis 3 heures 53 minutes
fait que j'ai pas tant fait de choses finalement
sinon vivre une trâlée d'émotions
des plus que bienvenues

mardi 5 juillet 2016

Au soixantième kilomètre de vélo, les muscles sollicités de mes jambes m'empêchent de focuser. Pourtant ça se tiraille ferme dans ma tête multitâche. Énorme boucle le long du fleuve Saint-Laurent. Les piétons marchent sur la piste cyclable et je me retiens pour ne pas leur crier après. Je file à toute allure. Je ne sens pas le soleil mais demain mes bras seront brûlés. Pendant que je pédale comme un fou - un hamster dans sa roue -, je tente de faire le point sur l'horizon devant moi que je repousse à chaque coup de pédale. Mais la ligne que dissipe la chaleur est trouble. Et cette imprécision me nargue. (Qu'est-ce qui m'apporte satisfaction? En quoi suis-je insatisfait? Les vacances sont en train de devenir ce que je redoutais. Mon esprit est incapable de se reposer. J'ai lu 300 pages one shot dimanche pour terminer L'immortalité de Kundera ;  ça faisait trrrèès longtemps que ça m'était arrivé. Ce livre est de la bombe. À lire et relire. Autant les deux autres bouquins que j'ai lus de Kundera m'avaient laissé sur ma faim que celui-ci m'a hypnotisé. L'iimmortalité dans l'image de soi et non dans l'objet, il faut méditer sur ce sujet plus bouillant que jamais - je suis mûr pour un sonnet) Mes amis me manquent. Sachent-ils que je pense souvent à eux? Même en essayant d'éviter les inévitables essaims de bestioles en tout genre sur la piste cyclable faisant le tour de Verdun? Mais j'en n'ai avalé aucune. (Une phrase dans ma tête qui ne veut pas mourir : "Les ondées brûlantes déploient des pétales de chaleurs invisibles, lames d'éther qui pénètrent jusqu'en mon for impuissant ; détourner le regard et le corps est inutile dans la prison du vide aux barreaux forgés à même nos désirs insatisfaits." Encore une phrase qui persiste dans mes pattes de mouche d'encre agglutinée. Je fais du surplace dans mon exil) Trouver mes satisfactions. Dans toutes les actions que nous posons, dans tous les regards que nous lançons, dans les livres que nous lisons et l'alcool que nous buvons. Mais la solitude et l'ennui des nuages l'emportent parfois sur nos perceptions. Je ne vois qu'un voile dans la toile de fond bleue du ciel. Le ciel manque de turbulence, de fulgurance, de ces tempêtes que je cherche en vain, comme si j'étais incapable de me satisfaire de ce qui est. Ce texte n'aura pas de chute, comme les jours qui le nourrissent, prévisibles et manquant cruellement de mouvement. Prévisibles dans leurs crépuscules banals, dans leurs insupportables cris d'enfants de ruelle, dans la nonchalance feinte des passants - tout le monde semble si content de l'été, mais l'été est une enclume chauffée à blanc, et le soleil, son impitoyable marteau. Et ma tête qui reçoit péniblement tous ces coups.

vendredi 1 juillet 2016

Du lourd

"L'homme n'est rien d'autre que son image. Les philosophes peuvent bien nous expliquer que l'opinion du monde importe peu et que seul compte ce que nous sommes. Mais les philosophes ne comprennent rien. Tant que nous vivrons parmi les humains, nous serons ce pour quoi les humains nous tiennent. On passe pour un fourbe ou un roublard quand on se demande sans cesse comment les autres nous voient, quand on s'évertue à paraître aussi sympathique que possible. Mais entre mon moi et celui de l'autre, existe-t-il un contact direct, sans l'intermédiaire des yeux? L'amour est-il pensable sans la poursuite angoissée de sa propre image dans la pensée de la personne aimée? Dès que nous ne nous soucions plus de la façon dont l'autre nous voit, nous ne l'aimons plus."
- Milan Kundera, L'immortalité

descendre Saint-Denis
à toute vitesse
je dégrise en trente secondes
mode multitâche des réflexes
je risque l'accident
à chaque portière
à chaque personne
qui ne me voit pas
parce qu'elle ne pense pas
aux autres
(quasiment tout le temps finalement)
mais dans le passé
j'ai failli mourir deux fois
je vais la voir venir
quand ce sera la bonne
en attendant
juste quelques sensations fortes
pluie d'éclairs de l'adrénaline

j'ai failli faire un flat
mais c'est juste mon coeur
qui en a fait un


jeudi 30 juin 2016

Vendredi non jeudi soir - pas tout-à-fait le soir, le soleil point encore dans la ruelle ses confortables rayons - jeudi fin d'après-midi donc, je me repose.

La ruelle est vide. Elle, habituellement peuplée par la trâlée d'enfants du voisinage, est tranquille aujourd'hui. Pas de pire-père-de-la-terre en train d'engueuler ses enfants avec l'autorité inerte d'une bouée, pas de cris d'autres enfants qui pleurent leur vie pour un boire, non, pour la première fois depuis longtemps, je peux dire que je suis bien sur mon balcon donnant sur une ruelle digne d'une épopée à la Michel Tremblay. (Jules vient de partir ratourer les lieux, tout instinct qu'il est ce chat!)

Ma pile de lectures estivales est composée d'environ trente oeuvres (autant poétique, que romanesque, que théâtrale, qu'essayistique ; des plaquettes comme des briques). Sans douter un instant que je lirai toutes ses oeuvres pendant l'été (j'en ai lu deux juste hier), et pour faire un contrepoint à la monumentale bio sur Joyce que je lis depuis plusieurs jours déjà, je pige dans le tas à l'aveuglette et tombe sur L'immortalité de Milan Kundera, livre acheté neuf dollars dans une libraire sur la Plaza Saint-Hubert. (la voisine d'en haut arrose ses plantes sans se soucier le moins du monde si ça tombe sur notre balcon. Je protège mon portable, et ma bière, évidemment) Le livre de Kundera ne me dit rien de spécial, je l'ai acheté parce que j'en avais entendu de bons mots. Je l'ouvre. Et tombe. Je clanche 130 pages non-stop, le temps de 4 grosses Guinness, sans même prendre le temps de changer de positon sur ma chaise (je ne me souviens pas de la dernière fois que c'est arrivé). Il me semble que je tiens en mes mains un grand roman. Fuck les petits maîtres, je suis mûr pour un grand en ce moment. Envie irréductible de partager au moins cet extrait :

"La vocation de la poésie n'est pas de nous éblouir par une idée surprenante, mais de faire qu'un instant de l'être devienne inoubliable et digne d'une insoutenable nostalgie." (page 47)

(Je veux vraiment savoir ce que d'autres pourraient penser de cette phrase - Francis? Yoan? Bourbon? et certains autres qui me lisent mais ne commentent jamais ?)

Plusieurs autre extraits sont dignes de mention, mais je vais les taire pour l'instant (se savoir lu par certains - rappel du surmoi - oriente mon moi (Ce qu'il y a de pire que la censure est l'auto-censure : elle est la poix brûlante des gargouilles qui pétrifie l'action)). 

Je vais retourner lire le temps de ma dernière bière, le temps du fond de bourbon qui reste (très cher Francis, il deviendra un corps mort celui que nous avons plus qu'entamé l'autre fois), avant d'aller faire du vélo jusqu'au bout de la nuit, jusqu'à ce que Montréal se taise un instant - si rares ils sont ces instants, ce silence de la nuit que je voudrais entendre à chaque minute.


mardi 28 juin 2016


mes cris se perdent
dans la beauté totale de l'orage
la lucarne rétrécit et la pièce se tait

je cherche les atomes du sens
un langage dans le silence
qui rentre ses ronces dans ma peau

des munitions pour m'aider à passer
le déluge jusqu'à la prochaine
avalanche de noyades

mercredi 22 juin 2016

Son visage caché dans un contre-jour flou
Détaille drue une tristesse métallique;
Hoquets et spasmes en noir et blanc stroboscopiques
Martèlent éloquemment craintes, troubles et remous.

La guillotine invisible au-dessus du cou
Tremble aux fracas malsains des délires hystériques;
Elle se tait dans un mantra mélancolique,
Pour celle assassinée sous la lame d'un fou.

Puis elle chante l'écho lourd du désespoir,
Les lèvres étouffées dans un terrible entonnoir;
"Qu'est-il advenu de notre amour?" pleure-t-elle,

Il agonise sous les armes parvenues.
Et dans ses yeux, aucune larme n'étincelle,
La douleur de l'Homme dans une main tendue.

mardi 21 juin 2016

Paraîtrait-il qu'écrire permettrait de se libérer de ses obsessions. Dans l'écho silencieux de cette phrase, ce sont des aiguilles qui me traversent le cerveau et s'enfoncent dans les points névralgiques de ma psyché. Mes obsessions ne se tarissent pas dans l'écriture, elles décuplent. Parce que j'écris probablement toujours la même chose, des variations sur un même thème. Qui n'a pas encore pris sa forme la plus définie. Suis pris en quelque sorte devant une liberté qui se dérobe. Faire des choix. De mots. (J'entends le cortège du vent mais ne le vois pas. Le plus invisible danseur dansant sur la plus invisible musique. Et pourtant. Il est partout. Omniscience du vent.) Mes obsessions font leur lente procession. Je suis tiraillé entre l'admiration et l'écoeurement. L'impression de ressasser les mêmes choses m'amène une tentation. Celle de me taire. Mais la poésie peut-elle vivre même dans le silence le plus éloquent? (L'intellect est un bourreau. Les questionnements, son office. C'est une indicible torture qui serait rapidement battue du revers de la main par les véritables torturés les réfugiés les enfants de la guerre les pauvres les nécessiteux les misérables les alcooliques les toxicomanes les exploités ceux qui vendent leur corps au moins offrant ceux qui ont refusé de réfléchir qui s'en tiennent à leur illusoire conception du monde les bienheureux ignorants les évincés omis et proscrits les moutons blancs tondus de leur d'humanité. Question de relativité.) J'entends une réverbération sans savoir d'où elle vient. Probablement les ondes quelconques d'une mécanique quelconque qui a évacué l'humain de ses fonctions. Outils de l'amélioration de la qualité de vie au détriment de l'action, de la main à la pâte. (Ce profond désarroi me glace de sueurs dans la fournaise du matin. Je cherche encore dans l'inconnu et la matière vient à manquer. Non, c'est mon regard qui s'atrophie, mon imagination qui s'ampute. Chercher la beauté dans l'émerveillement. Voir les choses comme si c'était la première fois. À chaque fois.) Je devrais écrire plus. Écrire une histoire. Avec un début. Et une fin. Et entre les deux, j'imagine, des rebondissements, des portes ouvertes, des amoureux heureux ou malheureux, l'incontournable description du temps qui fait, un bulletin météo enjolivé de notre regard, caractéristiques relatives de notre perception, tracer l'orbite du jour, la révolution des heures, l'équité du temps donné, l'épuisement, la fatigue, l'espoir - ce prolongement de la douleur -, la crainte et la peur, les obsessions qui ne se tarissent pas parce qu'elles se sont glissées, comme des fatales couleuvres, sous le tapis de notre peau. Chair offerte au soleil qui grave sa chaleur dans les sillons du derme. Tremblements et heurts de la sensation. L'ébullition sourde d'une apnée en manque de divertissements. L'ennui comme des fondations sur lesquelles se construisent le changement et l'évolution. Ou qui vient ankyloser l'inspiration.

mardi 14 juin 2016

Sonnet (ou de la liberté dans la contrainte)

Spectre de bronze dans la chicane des heures,
De sa gueule dégouline le puissant fiel;
Enclume croulant sous le marteau démentiel,
Ma tête s'abrutit de marasmes malheurs.

L'entropie fracasse les ébauches ardeurs,
Combustion du phénix dans le trauma du ciel,
Les cendres volatiles de nos amours plurielles
Et la honte distillent leurs abjectes odeurs.

Et le chaos dévoile ses absurdes arcanes
Sur le sable explosé du passé mythomane,
Vers les origines d'une étoile inconnue;

Survient l'anathème d'une coda précoce,
Je butte sur le roc de mes peurs mises à nu
Et tombe dans le froid d'une angoisse féroce.

La confondante réalité des choses
Est ma découverte de tous les jours.
Chaque chose est ce qu'elle est
Et il est difficile d'expliquer à quiconque à quel point cela me réjouit,
Et à quel point cela me suffit.

Il suffit d'exister pour être complet.

J'ai écrit pas mal de poèmes.
J'en écrirai plus encore, naturellement.
Chacun de mes poèmes dit ça,
Et tous mes poèmes sont différents.
Puisque chaque chose qui existe est une manière de dire ça.

Quelquefois je me mets à regarder une pierre.
Je ne me mets pas à penser si elle sent.
Je ne me fourvoie pas en l'appelant ma soeur.
Mais je l'aime parce qu'elle est une pierre,
Je l'aime parce qu'elle ne ressent rien,
Je l'aime parce qu'elle n'a aucune parenté avec moi.

D'autres fois j'entends passer le vent,
Et je trouve que rien que pour entendre passer le vent, ça vaut la peine     d'être né.

Je ne sais pas ce que les autres penseront en lisant ceci ;
Mais je trouve que ce doit être bien puisque je le pense sans effort,
Sans la moindre idée de témoins attentifs à m'écouter penser ;
Puisque je le pense sans penser,
Puisque je le dis comme le disent mes mots.

Une fois on m'appelé poète matérialiste,
Et j'en ai été fort surpris, car j'étais à cent lieux de penser
Qu'on pût m'affubler du moindre nom.
Moi je ne suis même pas poète : je vois.
Si ce que j'écris à quelque valeur, ce n'est pas moi qui l'ai : 
La valeur se trouve ici, dans mes vers.
Tout ça est absolument indépendant de ma volonté.

- Alberto Caeiro (Fernando Pessoa), Poèmes désassemblés