mercredi 28 octobre 2015

J'ai rien à écrire, rien à écrier aujourd'hui. Mais je dois quand même garder la main. Mes étudiants rédigent et je m'enfonce dans une Brève histoire du monde de Gombrich, lecture inspirée par le livre de Moutier que j'ai terminé dans le temps de le lire. Demain, nous serons en grève au cégep, je vais devoir venir faire du piquetage en après-midi. Le temps s'annonce pluvieux, venteux mais chaud quand même. Certains membres du syndicat sont en train de péter leur coche et ils se montrent agressifs envers ceux un peu moins impliqués, comme moi par exemple. Mais je m'efforce de passer sous le radar. De toute façon, ma révolte est différente. Et je serai là demain d"une manière ou d'une autre. Le livre de Gombrich est complètement fascinant, l'histoire du monde, rien de moins, vulgarisée en 330 pages. Et ça tient la route! En même temps, ça fait beaucoup d'informations à retenir et mon éponge de cerveau est presque saturée, je prends de bonnes pauses pour assimiler tout ça. (J'aurais tellement pu être historien!) Hier, pendant une de ces pauses, je me suis imaginé devenir bibliothécaire dans la plus grande bibliothèque du monde. Je me verrais bien finir rat de bibliothèque, tellement écoeuré des hommes que je n'aurais pas d'autre choix que de m'en remettre aux livres pour trouver du sens à la vie. J'ai des passes comme ça où je pourrais lire sans arrêt, douze heures par jour. D'ailleurs, depuis dix jours, je lis comme c'est pas possible, tout rentre et je n'ai envie de rien d'autre. Je suis un lecteur en série. À l'instant même, j'ai envie de relire Shakespeare, Dostoïevski, Proust, Cervantes et Joyce; je me lirais beaucoup de poésie aussi, T.S. Eliot, Whitman, Kerouac, Miron et j'ai envie de me taper Nietzsche, Freud et Lacan au complet. Et VLB. Sans compter que je veux relire L'Homme révolté de Camus. Et c'est pas juste du namedropping, ma pile de livres mentale est en train de prendre des proportions babyloniennes. Ce goût de m'enfermer, de regarder la neige qui se fait trop attendre tomber et de lire. Ça doit être l'hiver qui arrive. 
Mes étudiants rédigent en ce moment, et ce, pour les dix prochains jours.  Je devrais les surveiller davantage plutôt que de lire et d'écrire sans cesse dans leur face, mais s'ils trichent, je m'en rendrai compte bien assez vite en corrigeant leur copie. Que le bruit des feuilles qui tournent, des crayons sur le papier, leurs gestes et mouvements, craquements de cous, de dos, de doigts, de chaises, de bureaux ; ils n'ont pas l'air de trop souffrir. Ce silence qui n'en est pas un est salvateur. La semaine passée, ils étaient fatigués, indisciplinés et insupportables - rien de mieux qu'une évaluation pour les ramener à l'ordre, c'est aussi à ça qu'ça sert -, j'aurais donné du magistral une semaine de plus et j'aurai capoté, j'aurai sérieusement voulu détruire quelque chose. Mais non, je ne détruirai rien.
Superbe hasard! Je tombe sur une nouvelle revue sur Nietzsche à la bibliothèque du cégep. La deux mille sept cent quatre-vingt-sixième depuis cinq ans. Comme j'en ai lu au moins deux mille six cents, je la prends machinalement, question de solidifier ce que je connais déjà. Nietzsche sédimente dans les fossiles de mon cerveau. Première phrase qui frappe : "Il n'y a pas de faits, seulement des interprétations." Ha!! Que cela s'applique merveilleusement bien à ma lecture de Gombrich! C'est parfait! Je vais entrecroiser mes lectures, je vais allier le cuivre et l'étain, le bronze de mon marteau n'en sera que plus solide. Et les coups résonneront dans mes illusions jusqu'à ébranler les fondements mêmes de mon existence! Question de me rappeler leur présence.

mardi 27 octobre 2015

"Matin de pluie grisâtre et triste et sombre. Les Mayas, nous rappelle-t-on dans le Journal de Montréal, prédisent la fin du monde pour 2012. C'est rassurant. Personnellement, selon mes calculs, la fin du monde a déjà eu lieu. Elle est partout autour de nous. Il suffit de sortir dehors pour s'en rendre compte."
- Maxime Olivier Moutier, 
Journal d'un étudiant en histoire de l'art

dimanche 25 octobre 2015

Une semaine

Aujourd'hui dimanche
je ne veux pas travailler.
J'aurais dû dormir plus
mais c'est comme si mon esprit
me refusait le sommeil.
Trop d'idées m'assaillent.

J'ai le corps éreinté d'hier. Je n'aime pas trop supporté mon alcool parce que tout me rentre dedans sans que je m'en rende compte et les lendemains sont plus difficiles. Aujourd'hui, je ne veux pas travailler. Je devrais préparer mes cours de la semaine à venir, travailler me donne bonne conscience. C'est un maux de notre temps et je sais que je suis pris dans l'engrenage.

J'ai vu plein d'amis hier soir
que je n'avais pas vu depuis longtemps.
Amitiés et rires dans l'entrechoc des verres.
Des souvenirs travaillés et gravés 
à même la matière brute.

Trop d'idées m'assaillent. J'ai trop de choses à faire. Je m'invente toutes ces choses pour remplir le jour et ça me donne une migraine. Je sais que le jour passera vite et que je ne ferai rien. Tout s'entremêle et les lignes deviennent ratures. Pourquoi me refuse-je l'oisiveté? Mais est-ce vraiment oisif que de boire une théière bouillante dans le matin froid, que de lire cent pages d'un trait?

J'interromps la lecture
de cette très belle énigme,
hypnotisé par la fumée de mon thé.
J'écoute le silence dans mon tranquille désordre
et quelque chose me noue la gorge -
j'aimerais beaucoup être capable de méditer.

Les cloches de l'église à côté de chez moi sonnent midi, brisant ma torpeur. Mon chat me demande de l'attention. Je lui mets les partitas pour violon de Bach. Ce n'est pas ça qu'il veut bien sûr, mais je me plais à croire le contraire. Non je ne travaillerai pas aujourd'hui, je ne ferai rien sinon m'enfoncer dans le calme essentiel et la tranquillité du jour qui passe. (Je viens de me rappeler mon rêve de cette nuit, je me voyais sur des photos que je sais inexistantes.

J'ai un idéal que je sais impossible,
c'est ce que je détaille
minutieusement dans mes mots.
Je sais que je me comprends.)

***

Mardi. Lendemain d'élections.
Un playboy fils d'ordure a été élu.
Le Temps avance sans nous,
illusion du mouvement 
dans notre immobilisme crasse ;
on a manqué le train depuis trop longtemps et 
je me sens plus seul que jamais.

(Mon écriture tremble ce matin en pattes de mouches épileptiques. Les tremblements de ma colère refoulée.) Dans le métro, une blonde poudrée somnole devant moi. On dirait qu'elle s'est fait battre, son visage est tuméfié. Ou peut-être qu'elle est accro au crystal meth. Je me sens soudainement empathique. Elle écarte les jambes inconsciemment et révèle un cameltoe d'une vulgarité sans nom, mes yeux retournent d'eux-mêmes à mon livre en interceptant toutefois ses ongles : ils sont parfaits, cisaillés comme des perles roses éclatantes. Oxymore au bois dormant.

Dans son énigme, Dany Laferrière, en prenant un certain raccourci, dit que les grands thèmes de la littérature peuvent être découpés géographiquement. Parmi ceux-ci, pour l'Europe, c'est la mort ; l'Amérique du Sud, le temps ; l'Amérique du Nord, l'espace.

Chercher à occuper un peu
cet espace si vaste,
remplir le vide autour de soi 
pour combler celui en soi.
Cet espace aux agglomérations
archipeuplées mais où la solitude
est le prédateur le plus menaçant.

Mascarade électorale terminée. Nouveau premier sinistre. Ma totale indifférence. Je suis tellement écoeuré du cirque ambiant que je pourrais tuer quelqu'un. Ou crier à la face du monde mon ultime sentiment de dégoût - meilleure option. Je pourrais aussi tout crisser là et déménager sur l'île d'Islay, ce serait elle la meilleure option. Mais je n'en ferai évidemment rien, je vais m'exploser au badminton, le sport comme dernier exécutoire. 

***

Mercredi matin.
Mon corps comme un noeud de métal.
La tension des muscles m'alourdit.
J'ai l'impression de vieillir 
anormalement vite cette semaine.
Corps endolori et lassitude de l'esprit
ne font pas bon ménage.

Mon seul apaisement se trouve dans la lecture et l'écriture depuis quelques jours. Malgré la lourdeur de la mort rôdant sans cesse dans L'Énigme du retour - cette impression qu'elle apparaîtra à chaque fois que je tourne une page - l'écriture de Laferrière irradie une lumière douce qui me calme.

Un calme nécessaire
pour taire les cris en moi qui 
balancent dans le va-et-vient des saisons,
mon ambivalence sublimée
dans l'indifférence des alentours.

***

(Il n'est pas d'histoire dans laquelle je suis capable de me perdre pour la raconter sinon la mienne.) Vendredi. Métro. Encore. Il y a bien peu de gens dans le wagon ce matin et une grosse femme en face de moi en profite pour parler à tue-tête (quelle extraordinaire expression!) dans son cellulaire. Le maire de Montréal vante le métro en disant que les données cellulaires sont désormais accessibles sur la majorité du réseau sous-terrain. Si cela amène éventuellement les usagers à parler au téléphone  sans arrêt dans le métro, je m'achèterai une voiture c'est sûr.

Station Angrignon. 
Fin de la ligne verte,
encore un autobus à prendre
et d'ici là, à l'attendre.
Une grosse femme espagnol -
elle ressemble à Gimli
mais sans barbe (heureusement) -
est en train de quêter en scandant
"Dieu vous protège!
Dieu vous garde!
Vous verrez la lumière!
Dieu vous bénisse!"

Elle ne dérougit pas,
Sa foi est un pilier que je n'aurai jamais.
J'aimerais tellement croire en Dieu,
- comme si cela me permettrait de trouver
plus facilement le bonheur -
mais j'ai la spiritualité des pierres.

***

Dimanche matin
température écossaise
odeur de terre humide
la nature a étanché sa soif
et les feuilles sont lourdes de pluie.

J'irais marcher pieds nus dans l'herbe du parc Jarry aujourd'hui.
To feel the slippery grass beneath my feet, and I would lay down,
naked, in the coldness to sense Time dripping on me as I am forgetting it exists.

(Great Walt! Mon anglais est nul, mais je m'en fous, comme je me suis foutu de tout cette semaine). Après L'Énigme de Laferrière, j'ai tout de suite commencé un nouveau roman - après un rush de correction, je suis capable de lire huit heures par jour si j'en ai le temps -, la dernière brique de Maxime-Olivier Moutier, Journal d'un étudiant en histoire de l'art. Le prologue était imbuvable, un ramassis de namedropping bobo. Mais j'ai continué et je me suis laissé embarquer ; le bouquin ne me quitte plus les mains et les yeux. Sa prose - malgré son obsession de la virgule - possède un souffle qui nous happe, si évidemment l'on s'intéresse un tant soit peu à l'art. (D'ailleurs, je sens ma prose se modifier par rapport à celle du début de la semaine, l'influence de la lecture sur l'écriture est indéniable, prétendre le contraire est ridicule. À quoi bon s'y soustraire si cela nourrit?)

Il recommence à pleuvoir.
Pendant la prochaine heure,
je vais tout taire
et écouter, lentement,
- en attendant la suite -
les sables mouvants du silence.

samedi 17 octobre 2015

Sur tous les réseaux faussement sociaux ce matin, tous les gensses s'émeuvemeuvent le toupetit sentimental pour des toupetits flocons de neige mouillée de rien du tout. Ô futilité de notre toupetit temps pas plein de pouaisie pantoute. Futile comme des morts de flocons sur la sphalte grise de la ruelle vide ce matin.

Sinon partout, c'est des élections qu'on parle et dans deux jours un premier sinistre, ancien ou nouveau, c'est du pareil au même, va arriver et se prétendre le chef du plusse meilleur pays du monde. Pis le changement changera pas pantoute. Mais faut bien sûr s'assurer de remplir son devoir de citoyen pis aller voter, bien futile aussi ce toupetit vote dans ma conscription vouée d'avance à aucune avancée. J'ai mal à ma démocratie pas démocratique pantoute, à mon pas-de-pays. Non non non, elle est bien vide de pouaisie la vie ailleurs ce matin. 

va falloir aller la chercher queuqu'part
peut-être se terre-t-elle sous le soleil
sous le ciel ambivalent de bleu et de gris
ou peut-être s'évapore-t-elle avec l'âme des flocons tout meurtrissurés
ou est-elle dans les fines morsures du vent
dans les leurres des sourires qui sourissent      
           évanaissant automne
dans le confort des nuques enfoulardées
dans les lames des feuilles tout oxycouleurées
dans leur délicate rouille
la tendre brûlure du silence
la danse muette de tes cils
mes images infinies de toi

lundi 12 octobre 2015

Serait-ce possible, est-ce vraiment la clef? Se raconter jusqu'à se dépasser, transcender l'individu, l'être, et atteindre le collectif universel dénué de spasmes et totalisé? Mais une seule erreur et un seul faux pas peuvent conduire au néant, où tout s'embrouille dans le galimatias, le chaos de la parole singulière et univoque, celle qui ne tend ni s'étend sur quoi que ce soit d'autre, d'étranger à soi?

Je suis las. Mes questionnements dérivent sur des océans mirageux et la barque se perd. Je prends l'eau mais ne me noie, car les failles fissurées sont doubles, la noyade est plus lente, plus longue. Une brèche seule faciliterait la fin. Quoiqu'elle serait plus facile à colmater mais non. Les brèches sont multiples, les efforts se perdent dans les remous, dans le va-et-vient de l'eau ; tout m'effraie dans cette agonie lourde pendant que la mort lente monte, inlassable travail des marées - comme le bois de ma barque termité de coléoptères. 

J'ai perdu le point de fuite de mes images. L'Ariane brisée des songes me sourit dans son évasion muette. J'aimerais prendre l'eau, sentir le trouble des vagues, ces miroirs explosés de lumière sous le soleil d'octobre. En attendant l'hiver où même les océans gèleront et que le monde hibernera, rassemblant dans ses graisses l'énergie nécessaire aux épreuves à venir. La barque tangue et je manque tomber, je perds rames au fil de mes inaccomplissements. La voile déchirée s'en est allée dans le vent.

J'image et je vois - shut your eyes and see - les feuilles de l'automne. Prismes squelettiques déviant les couleurs, ce ne sont que les teintes dansantes de la peinture du jour. Les musiques ondent des distorsions neuves. Et le temps est sourd pendant que l'enchantement se rompt.