mardi 24 mars 2015

suite

En raison de contraintes de temps, je ne peux m'empêcher de constater que j'ai fait les coins outrageusement ronds hier avec mon billet sur Richard III. Je ne cherche pas à réajuster le tir, mais bien à détailler davantage sa courbe. 

L'écho dont je parle ne s'applique pas seulement à notre époque, mais bien à toutes les époques. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'oeuvre de Shakespeare reste, à chaque fois, terriblement actuelle. Parce qu'elle expose les rouages du Grand Mécanisme qui met en marche le rouleau compresseur de l'Histoire, comme le dit Jan Kott. Le Grand Mécanisme. Ce qui régit le fonctionnement de l'horloge du temps, les suites cycliques d'événements qui se répètent sur la scène sanglante des grands augures, devant notre hébétude éternelle. 

Je pourrais citer cent répliques qui montrent la clairvoyance psychologique et l'audace puissante de Shakespeare, mais je m'attarderai à une seule qui est archiconnue, mais pour les mauvaises raisons, ce qui dénature l'assertion en soi. Alors que Richard est sur le champ de bataille de Bosworth, qu'il est désarçonné et surpassé en nombre, il crie deux fois plutôt qu'une : A horse! A Horse! My kingdom for a horse! (V, iv). 

La citation a désormais un usage courant et elle est répétée de façon ironique lorsque quelqu'un a besoin d'une chose inutile, triviale et sans importance. Et je crois que c'est tout faux, ce n'est pas le cheval qui est futile, mais bien le royaume. Il ne vaut même pas un cheval! Voilà le véritable prix du pouvoir, le prix de l'histoire, de la couronne et de la gloire ; le prix de ces complots et de ces meurtres. Un bon cheval vaut plus que ces morts, plus que tout un royaume pour un Richard poussé dans ses derniers retranchements, après l'horrible cauchemar qu'il vient d'avoir, où tous les fantômes de ses victimes sont venus, dans son sommeil, lui lancer d'inexorables : despair and die! Un cheval pour un royaume? Le prix est juste. Richard voit dans un cheval la seule façon d'échapper à la mort.

Évidemment, personne ne connaît les derniers mots du vrai Richard III, et l'Histoire n'est que le matériel avec lequel Shakespeare sculpte sa vision du monde, sa vision d'homme de la Renaissance qui voit se construire un monde dépouillé d'idéologie où rien ne compte sinon les diverses formes du pouvoir qui se déploient dans un mécanisme barbare - quelle façon spectaculaire de terminer sa première tétralogie - et ce n'est pas Richard III qui parle, c'est l'homme qui constate la futilité du pouvoir que l'homme croit s'octroyer. Et ces hommes sont, autant l'un que l'autre, intemporels donc actuels.

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