lundi 26 mai 2014

Surveillance

Déposer ou apposer les bases d'une fondation à venir. Une structure à édifier malgré la simplicité des choses. Aux alentours, je vois des gens qui semblent souffrir en silence, suffisants d'insouciance. Une fille aux cheveux impossibles tire sur ses cils pour les démêler, les désempêtrer du mascara collant, et ça tire et ça déforme sa paupière. Une action qui envahit l'espace temps de dix secondes. Beaucoup de personnes aux tatouages cheaps, le gris-bleu se voulant noir, les yeux vitreux jetés dans la fenêtre du livre où ils ne voient rien, impénétrés. Masses de cheveux rouges, châtains clairs, châtains foncés, châtains cendrés, châtains, du roux, du blond avec une frange bleu, des dizaines de bruns différents - il n'y a pas deux bruns pareils - un peu de noir plus noir qu'ébène, le noir de l'ébène carbonisée, de l'ébène ben carbonisée. Des personnes qui dévoilent leur calligraphie naissante, qui édifie la structure des choses à venir. Que leur magma se solidifie, se fie sur du solide. Solidifier. Leur visage difficile à percer, difficulté de sonder l'émotion dans l'étang vaseux de leur face. Personne ne semble souffrir finalement. Personne ne semble souffrir comme moi je souffre en tout cas. Mais je ne souffre pas, je m'essouffle, je m'essouffre. Cette incertitude dans leur regard concentré. Jus fait de concentré d'incertitude. Bonne source de vitamines. Évaluation finale : A+ à E. Échec possible. L'échec est toujours possible, il est à portée de main, il est apporté de main. Mais ils n'ont pas honte d'échouer parce qu'ils n'ont pas d'idéaux. On est comme ça ici, on n'a pas honte d'échouer parce qu'on n'a pas d'idéaux. Moi j'embrasse ma honte, ma mante religieuse, comme j'ai embrassé celles qui ont construit le casse-tête de ma honte et de ma culpabilité. L'image sur le casse-tête, c'est du noir ; nombre de pièces : inconnu. Je n'ai plus de souvenirs de quand j'avais cet âge. Aucun. Que le prolongement d'émotions jamais tues, jamais tuées. Parfois le passé peut réellement disparaître. Ce sont les émotions qui nous édifient. Les souvenirs sont toujours déformés.

vendredi 23 mai 2014

Un certain abandon

Don't touch this fucking zit at the corner of your lips! Ne dégale pas cette ostie de gale à la commissure de tes lèvres! Mais tu sais que tu ne peux pas t'en empêcher, la petite douleur fine et stridente lorsque que tu enlèves cette croûte pas encore assez morte, cette croûte en-dessous de laquelle renaît la petite blessure, la peau fait peau neuve sous le petit amas de croûtes mortes, ça travaille, il ne faut rien enlever, il ne faut pas défaire la régénération des chairs, ne rien déchirer croûte que croûte sinon le sang coulera gluant faute de coagulant, un sang décoagulé. Attendre. La blessure est superficielle, en surface, elle va disparaître. Pas comme les autres en profondeur dans les stries profondes du corps, pognées directes dans ce que le corps a de cérébral, d'émotif, d'irréparable. J'ai peur de dévoiler la chair vive et vulnérable de mes blessures.
La bière bue coule fade, une grosse laurentide vieille, fossile de mes années universitaires, alcool dans lequel se distilla mon rut de jeune vingtenaire, les maux de tête, les trous de mémoire, les mémoires perdus, la quête de cuisses hospitalières, le stupre, les hanches de femmes aimées puis oubliées, mes abandons. Souvenirs déficients, altérés. Altérité altérée, altérité désaltérée, comme j'ai désaltéré mes altérités! Vide rempli par la honte d'abord puis l'indifférence ensuite, la résignation. Je bois et je cherche. Sensation proustienne avortée, comme les deux enfants que j'ai failli avoir.
Mon exil est local. J'aime cette sensation d'exil qui n'en est pas vraiment un. Je suis toujours sur la même terre, dans le même pays que je ne reconnais pas parce que je ne l'ai jamais connu. J'ignore où je suis, je suis un insulaire continental, un marin à pied. Je cherche une île déserte. Mais je suis sur une île prise, une île prisonnière - elle m'emprisonne hier -, prise dans des ornières, entourée de terre. Il n'y a rien de plus triste qu'une île au milieu d'un continent, centre débalancé du monde que je ne vois pas ailleurs que sur de grandes cartes sans centre. La terre est plate mais elle trouve ses courbes dans le grand angle du monde.

mercredi 21 mai 2014

Extrait

Je m'appelle Grenole Froment. Si je commence cette histoire en vous disant mon nom, qui n'est pas mon vrai nom, c'est parce que je suis tanné de ceux qui disent pas leur nom. J'ai déjà lu des livres dans lesquels les protagonistes disent pas leur nom. J'aime pas les livres dans lesquels les protagonistes disent pas leur nom. Je trouve que ça parait trop que l'écrivain tente d'auréoler de mystère son protagoniste. Personne n'est mystérieux. Du moins, pas en disant pas son nom. Mais si Grenole Froment c'est pas mon nom c'est pas non plus mon surnom, parce que tous ceux que je connais ont un surnom. Grenole Froment c'est le nom que je me serais donné si j'avais été quelqu'un d'autre. Si j'avais été le héros d'un roman d'aventure par exemple. J'aurais été un voleur mince et laid, qui sait être rusé et cruel envers ceux qui le méritent, mais bon aussi. J'aurais été un voleur qui vole pour survivre, pas pour s'enrichir. Parce que j'haïs les riches et même en me mettant en scène je serais pas capable d'aimer les riches. Je volerais les riches parce que c'est à chier et parce que c'est pas original de voler les pauvres, tout le monde fait ça. Ouais, j'aime pas les riches. Au Québec, y'en a beaucoup qui disent que les Québécois ont un problème avec l'argent, qu'on souffre d'un complexe d'infériorité, qu'on n'aime pas ça quand quelqu'un réussit et qu'il est riche. Mais l'affaire c'est que c'est vraiment n'importe quoi puisque tout le monde a un problème avec l'argent, ceux qui n'en ont pas en veulent et ceux qui en ont en veulent toujours plus. Avez-vous déjà entendu quelqu'un dire : "J'ai assez d'argent!"? Non, moi j'aime pas les riches, autant par jalousie que parce que ça m'emmerde de voir des gens plein d'argent. Mais j'aime pas les pauvres non plus. Surtout ceux qui blâment les riches pour leurs problèmes d'argent. Bref, je pense que j'haïs l'argent point. C'est pour ça que j'aimerais être un voleur dans un roman d'aventure. Je ne suis pas sûr si c'est un bon argument par contre, mais je m'en fous, j'ai toujours été pourri quand vient le temps d'argumentir, d'argumenter je veux dire. C'est parce que j'haïs mentir aussi. Tout le monde ment. Le monde ment. Si j'aime pas argumenter c'est pas parce que je suis pas intelligent, mais parce que j'aime pas argumenter avec des morons. Et comme Montréal sinon le monde est composé de morons comme le corps humain est composé d'eau, ça fait que j'aime pas ça argumenter. Je trouve que Grenole Froment c'est pissant comme nom. S'il fallait le décrire, il aurait quelque chose d'une barre tendre dans son apparence. Il serait maigre en tout cas ça c'est sûr. Grenole Froment ça fait nom de maigre. Mais moi je suis pas maigre je suis gros, pas obèse, juste gros. Gros façon années 2000, façon abdomen adipeux bien bièreux, façon les douchebag sont la norme donc je suis gros. Motto du motté : je ne suis pas douche, donc je suis gros. À notre époque, c'est ça être gros. J'haïs les douches encore plus que l'argent mais ça, ça n'a rien à voir avec la jalousie. C'est viscéral, c'est tiré direct de la bile et des entrailles, de ouesse que la haine naît en l'homme sans qu'on comprenne pourquoi. J'haïs tout d'eux, c'est physique et psychologique. J'haïs les athlètes qui n'en sont pas vraiment même s'ils sont convaincus d'en être. Ceux qui vomissent parce qu'ils font des marathons et qu'ils devraient pas en faire et qui sont juste pas capables de parler d'autre chose que leur câlisse de marathon! Tous les crossfiteux, les spartan raceux, ceux qui feront jamais parti d'un fight club parce que la première règle d'un fight club c'est de pas parler du fight club et qu'eux sont pas capables de parler d'autre chose que leur ostie maladie mentale! Grenole Froment lui y'est maigre, comme une barre tendre, comme un clou, comme une lame de couteau, mais vif pis drette! Il plie pas Grenole Froment, il casse pas Grenole Froment! Mais de toute façon, c'est pas mon vrai nom et c'est même pas mon vrai surnom. Mon vrai surnom, c'est Quoi.

mercredi 7 mai 2014


Poets are the unacknowledged legislators of the world. - Shelley

samedi 3 mai 2014

temps des jours

Sur cette grande feuille devant moi surlaquelle j'esquisse mes pensées, lentement, j'évolue en parallèle des lignes libres, si près de les toucher Mais aussi loin que se perd mon regard, je n'y arrive pas. Seul l'infini me dira si j'y parviendrai.
En attendant, des ailes lourdes de pluies, épuisées d'absence, me gardent au sol, mais se solidifient en unités puissantes. Je sens venir d'espérées migrations. La formation d'un corps autour duquel mon orbite naîtra, où je commencerai peut-être une nouvelle révolution.