mercredi 17 avril 2013

Un pont

Une autre pierre au pont posée, un autre livre de terminer, un soldat de plus dans mon armée du langage : The Primal Screamer, de Nick Blinko. Dans les deux derniers jours, toutes mes pensées se sont concentrées autour de ce "vivid void", ce "néant vivifiant", et un autre constat s'est ajoutée entre moi et la conception que je me fais de tout ce qui est autre. Cette constatation a quelque chose d'inquiétant mais également de fascinant : ce total et irrévocable attrait que j'ai parfois à (l'envers et) l'endroit de la folie. À défaut d'avoir un sentiment récurrent envers un concept unidirectionnellement fataliste, ou absurde, comme la mort ou - ce poison lent de mon ère - la violence, je manifeste plutôt un intérêt particulier et latent, parce que j'y pense et que cela sommeille en moi depuis très longtemps, envers la folie. Non pas que j'y sois sujet, c'est justement cette inaccessibilité qui la rend d'autant plus séduisante : le fait de ne pouvoir traverser ce pont - de voir ce qui se trouve de l'autre côté, ce que je peux même voir à l'oeil nu - est d'autant plus hypnotisant parce que visible mais hors d'atteinte, parce que si proche mais inatteignable - et donc rejoindre sinon entrevoir le spectre éclatant de la folie. Puis c'est sur ces assertions que le spectre s'écarte.
Le livre de Blinko raconte le combat d'un homme contre la folie, à travers les yeux de son psychiatre. Combat inégal s'il en est un car l'on ne peut battre la folie, on ne peut que l'accepter. Le premier tour de force de ce roman semiautobiographique est la dépersonnalisation de Blinko, qui confie la narration à l'autre (le psychiatre), créant ainsi une triangulation lui permettant de s'observer, de s'analyser et de se critiquer avec une franchise et une honnêteté très audacieuses : il y a dans cette technique une inspirante acceptation de sa propre vulnérabilité. Puisque que la folie demeure le fil conducteur du texte, Blinko ne peut contenir pareille dépersonnalisation pendant 120 pages et tranquillement, à travers le monde des rêves et de l'hypnose, l'autre devient l'autre en soi, la décompensation des défenses amène une régression, jusqu'à la fusion des deux personas se soumettant à plus fort que soi(s) : la folie. La franchise et l'abandon de Blinko sont admirables, totales et cathartiques.
Le dernier chapitre du livre est le plus tordu mais le plus fascinant parce que le plus mystérieux, parce qu'il ouvre une porte sur le monde au-delà la réalité et de le folie - le monde de l'innommable, le monde du rêve : "Dreams are important. Far more important than the drab consciousness of our awakened state. I have reason to believe that it is possible to enter the dreamworld entirely." Alors que tranquillement je me prépare pour la lecture de Finnegans Wake, - livre libre au symbolisme éternel parce que circulaire, livre que Joyce mit 17 ans à écrire et pour lequel on le traita de fou, livre-spirale qui utilise le langage du rêve - cette finale ne pouvait être plus appropriée. À suivre...

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