vendredi 17 février 2012

Coïncidence (ou peut-être pas)


Lou Andreas-Salomé, née Louise von Salomé, fut tout sauf une femme ordinaire. Femme de lettres allemande d'origine russe, incarnant la liberté intellectuelle, féministe avant même que le mot existe, trilingue, élevée à la noblesse par nul autre que le tsar Nicolas 1er, elle fut tour à tour le seul et unique amour de Nietzsche, la muse de Rainer Maria Rilke, la meilleure amie d'Anna Freud et la brillante disciple, ainsi qu'une des plus fidèles correspondantes de ce cher Sigmund. On peut sans craintes parler d'un destin en tout point hors du commun, pour ne pas dire extraordinaire. 
Je ne connais pas beaucoup les écrits de Salomé, sinon une description de Nietzsche qui témoigne de sa remarquable plume, mais inutile de dire que je suis désormais tout à fait intrigué par cette femme et je me suis promis d'y venir dans un avenir très rapproché.  Toujours est-il que connaissant plutôt bien ceux du philosophe poète à moustache et ceux du psychologisant barbu fumeur de cigare, j'ai eu, hier, l'idée bien inoffensive de me renseigner un peu sur l'oeuvre du poète allemand dont elle fut la muse, poète qui m'est, à vrai dire, en dehors de son nom, absolument inconnu. J'emprunte donc Lettres à un jeune poète à la bibliothèque, ouvrage que monsieur Grasset lui-même (oui l'éditeur) qualifie de "véritable guide spirituel", de "manuel de la vie créatrice de portée universelle", rien de moins. Je suis alors convaincu qu'il représente la meilleure introduction à l'oeuvre de Rilke.
J'ouvre donc ce matin, le 17 février 2012, ledit livre qui est un recueil de dix lettres que Rilke a écrites à Franz Xaver Kappus (le jeune poète en question) et quelle est ma surprise de voir que la première lettre que Rilke adresse à Kappus est datée du 17 février 1903. 109 ans jour pour jour après l'écriture de cette lettre, je la lis.  Dans une autre époque, dans une autre langue, à un tout autre moment. La fulgurance des mots a traversé le temps sans rien faire sinon exister ; une ellipse de 109 ans bouclée en un clignement de paupières.
J'aurais lu cette anecdote dans un roman de fiction et je ne l'aurais pas crue. À trop vouloir jouer avec la chance, il est facile d'abuser la naïveté. Mais en même temps, je me refuse à croire qu'il ne s'agit là que d'une vulgaire coïncidence et je me plais à y voir autre chose. De la poésie, un privilège unique, une anecdote dépassant l'entendement parce qu'il y a justement des signes au sens dépassant l'entendement humain. Et là, et c'est peut-être moi qui est naïf, mais j'y vois un peu de vie ; un peu de vie dans toute son abstraction presque saisissable, dans tout son mystère - comme la profonde douceur du regard de cette femme ci-haut - un peu de vie, à l'état pur.


1 commentaire:

  1. Il n'y a pas de coïncidence, il n'y a que des rendez-vous...

    C'est fabuleux!

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